La direction de l’aviation civile thaïlandaise (DCA) a promis de présenter à l’OACI d’ici dimanche un catalogue de mesures visant à renforcer la sécurité des vols, en particulier sur l’attribution de certificats d’opérations aux nouvelles compagnies aériennes. Les opérateurs du pays tels que Thai Airways, Thai AirAsia X ou NokScoot essaient tant bien que mal de réagir à un problème qui ne les concerne pas directement. Les problèmes de sécurité au niveau des procédures de certification d’opérateur aérien (AOC) faisaient partie des manquements dénoncés le 20 mars 2015 par l'Organisation Internationale de l'Aviation Civile, suite à un audit mené en janvier. Et elle donnera son avis le 18 juin prochain sur les corrections apportées par la Thaïlande, la menace principale étant une rétrogradation du pays en Catégorie 2 qui entrainerait une interdiction de vol vers l’Europe, les Etats-Unis ou le Japon, voire d’autres pays soucieux de sécurité. Le ministre des transports thaïlandais Prajin Juntong a promis de dévoiler dimanche 10 mai 2015 une première série de mesures, tout d’abord sur le manque de personnel qualifié à la DCA, capables d’inspecter sérieusement les compagnies aériennes, leurs avions et leurs pilotes (leur nombre est stable depuis dix ans alors que le nombre de vols a doublé), ainsi que sur le transport de matières dangereuses (Thai Smile, Thai VietJetAir, Jet Asia Airways, Orient Thai et trois petits opérateurs avaient été pris en défaut). Des experts venus de Singapour sont censés mener une formation de deux semaines pour mettre au niveau les employés de la DCA, mais le sous-effectif mettra du temps à être résorbé. Le Premier ministre et meneur du coup d’état de l’année dernière Prayut Cha-o-Chan a même décidé d’invoquer l’article 44 de la constitution provisoire, histoire de court-circuiter l’Assemblée nationale – et mettre au pas toute résistance bureaucratique aux changements qui s’annoncent. La restructuration de la DCA va sans doute prendre quelques semaines supplémentaires, mais les principes arrêtés semblent correspondre aux critiques de l’OACI : le régulateur de l’aviation civile sera divisé en trois entités distinctes, en charge de la régulation, des aéroports et des services de secours. Là encore l’utilisation de l’article 44 pourrait éventuellement mettre fin à toutes les résistances - il n’a pas encore été invoqué - mais aussi dégager instantanément les budgets nécessaires. Les trois nouvelles entités devraient être opérationnelles sous quatre mois au maximum, a promis le ministre des transports. L’annonce de l’OACI le mois dernier avait eu un effet instantané dans la région, échaudée sans doute par les problèmes d’attribution de créneaux horaires en Indonésie révélés après le crash de la low cost Indonesia AirAsia (162 morts le 28 décembre 2014). Le Japon, la Corée du Sud et la Chine avaient immédiatement bloqué tous les vols charter opérés par des compagnies thaïlandaises, et interdit l’ajout de fréquences supplémentaires. Avant de se radoucir un peu, quelques 150 000 passagers se trouvant bloquées dans les aéroports faute d’avion. D’autres pays avaient eu des réactions plus « politiques », comme Singapour ou l’Union Européenne qui ont multiplié les inspections sur les avions thaïs, en particulier ceux de Thai Airways ; là encore, le souvenir d’accidents était sans doute trop vif dans les mémoires pour que les autorités puissent risquer des accusations d'inaction. Le patron de l’IATA Tony Tyler a repositionné les problèmes de la Thaïlande à leur juste valeur : il est « injuste de pénaliser les compagnies aériennes pour les manquements du régulateur thaïlandais, dont elles ne sont pas responsables », sauf bien sûr pour le transport de matières dangereuses - rappelant que Thai Airways et Bangkok Airways (cette dernière n’a pas été affectée par les interdictions) sont toutes deux membres de l’IATA et au niveau des exigences de sécurité qu’impose l’association. La compagnie nationale, Thai AirAsia X, NokScoot, Asia Atlantic Airlines, Jet Asia Airways et Asian Air ont finalement vu leurs restrictions de vol « adoucies » par les régulateurs asiatiques, pour des périodes limitées dans le temps (au maximum jusqu’au 31 mai dans la majorité des cas). De nouvelles inspections des compagnies du pays sont censées être menées à partir du 29 mai, avec le renfort d’experts étrangers. Les premières « visitées » seront sans surprise Thai Airways, Bangkok Airways, Thai AirAsia et NokScoot ; les 28 autres transporteurs enregistrés en Thaïlande devront patienter. aj_thai airways a380 2En attendant le verdict, les six transporteurs affectés par les restrictions de vol s’adaptent tant bien que mal. Celle qui a le plus à perdre si l’OACI n’est pas convaincue est sans conteste Thai Airways, qui fête son 75e anniversaire en pleine restructuration (on rappellera qu’elle a déjà réduit ses fréquences vers Londres et Francfort, et supprimera Madrid à la rentrée). Outre la perte de face causée par les contrôles renforcés de ses avions dans certains aéroports, elle s’attend à voir sa filiale Thai Smile être obligée de redemander des droits de vol internationaux auprès des régulateurs des pays desservis. Fondée en 2012, Thai Smile avait obtenu l’année dernière sa propre AOC et son code WE, mais sa maison-mère continuait à l’utiliser sous code TG sur certaines liaisons, par exemple entre Bangkok et Vientiane (ce qui avait provoqué une plainte du Laos). Le nouveau président de Thai Airways Charamporn Jotikasthira a affirmé sa détermination à « maintenir la compagnie au plus haut niveau de sécurité » quel que soit le verdict de l’OACI, mais aussi à réveiller le mammouth (sureffectif, absence de stratégie marketing, flotte vieillissante… et une perte de 523 millions de dollars en 2014) ; mais son action pourrait être minée par d’anciens cadres,qui l’ont accusé d’avoir recruté des experts internationaux, en l’occurrence le cabinet Bain&Company, dont l’un des dirigeants travaillait pour Temasek – propriétaire de Singapore Airlines, la grande concurrente; une accusation déjà entendue lors du mariage avorté avec Tiger Airways… air-journal_AirAsia_X_A330-300La low cost long-courrier Thai AirAsia X devait inaugurer le 1er mai une nouvelle liaison quotidienne entre Bangkok-Don Mueang et Sapporo-New Chitose. Impossible selon les autorités japonaises, mais elles ont accepté que l’A330-300 de TAAX soit remplacé pendant un mois par celui de sa maison-mère malaisienne, AirAsia X. C’est donc l’avion de cette dernière qui opère désormais cette route, sous son propre code D7 ; les autres lignes de Thai AirAsia X, vers Tokyo-Narita deux fois par jour et vers Osaka-Kansai et Seoul-Incheon tous les jours, ne sont pas affectées par les restrictions. air-journal_NokScoot crew 777-200ERNokScoot, nouvelle compagnie née du mariage entre Scoot et Nok Air, filiales low cost respectivement de Singapore Airlines et de Thai Airways, devait inaugurer mercredi sa première route entre Bangkok-Don Mueang et Singapour-Changi. Impossible donc, mais elle tentera de nouveau sa chance le 20 mai prochain, avec une rotation quotidienne en Boeing 777-200ER pris en leasing chez Singapore Airlines (24 places en Premium, 391 en Economie). La future route vers Nanjing en Chine, prévue le mois prochain, est reportée sine die. Jet Asia Airways, qui propose des vols réguliers vers Jakarta, Tokyo et Djeddah plus des vols charter, et envisage de relier Phuket à Seoul et trois villes chinoises, s’est déclarée « résolue à laver son image » : même si rien ne lui est reproché, elle a demandé à l’OACI d’être soumise à un audit IOSA, référence en la matière. Thai Lion Air avait fait la même chose en fin d’année dernière, et n’a été que peu affectée par les récents évènements : son réseau est principalement intérieur. Asia Atlantic Airlines, nouvel opérateur charter thaï-japonais, a eu l’autorisation d’effectuer le mois dernier quelques vols en avril et mai vers le Japon, après avoir envoyé de nouveaux documents au JCAB. Même si l’OACI se déclare satisfaite des engagements pris par la Thaïlande pour combler les failles de sa sécurité aérienne, l’horizon n’en est pas débouché pour autant : la FAA américaine devrait venir se rendre compte de l’ampleur des problèmes liés aux AOC au mois de juillet, et l’OACI prépare pour 2016 ou 2017 un autre – celui des aéroports internationaux du pays contrôlés soit par Airports of Thailand (Bangkok-Suvarnabhumi et Don Mueang, Chiang Mai, Chiang Rai, Phuket et Hat Yai) soit par la DCA (Krabi, Surat Thani, Ubon Ratchathani, Khon Kaen et Udon Thai). Le Cambodge est le prochain pays de la région qui fera l’objet d’un audit de l’OACI, a priori en novembre.