Malgré l'opposition du réseau de distribution et des agents de voyage, Lufthansa ne reculera pas sur son intention d'imposer à partir de septembre prochain une taxe de 16 euros sur tout billet réservé via GDS (Global Distribution System, ou moteur de réservation) plutôt que sur le site internet de la compagnie allemande (et aussi de ses filiales Brussels Airlines, Swiss et Austrian Airlines). « Il y a beaucoup de compagnies aériennes et des milliers de points de vente, mais seulement trois GDS. Nous tenons à briser cela ! Nous savons que d'autres compagnies aériennes ne suivront pas tout de suite. Elles sont liées par des accords mais nous croyons que d'autres compagnies aériennes suivraient si elles le pouvaient », a déclaré cette semaine Heike Birlenbach, vice-présidente des ventes en Europe chez Lufthansa, lors d’une conférence de presse à Francfort. « Certaines entreprises ont dit qu'elles boycotteraient Lufthansa. Nous connaissons le risque encouru, mais ce n’est pas un pari. La direction du groupe nous donne une marge de manœuvre pour appliquer les changements. Nous croyons que c’est la voie à suivre», a ajouté la responsable de la compagnie allemande. Parmi les compagnies aériennes qui envisagent de suivre l'exemple allemand figure le groupe franco-néerlandais Air France-KLM : « C'est une question absolument clé pour nous. Nous évaluons cette option », a affirmé ainsi son PDG Alexandre de Juniac, rappelant toutefois que le contrat liant sa compagnie au GDS Amadeus courait encore sur deux ans, ce qui rend peu probable à court terme, sur le plan contractuel comme financier, une initiative similaire à celle de Lufthansa. En France, le SNAV (Syndicat des agences de voyage) a régit vivement à l'annonce de Lufthansa. Selon Jean Pierre Mas, président du SNAV, « il s’agit là d’une décision particulièrement hostile du Groupe Lufthansa vis-à-vis de ses distributeurs qui représentent une large part de ses ventes sur le marché français et cette mesure ne sera pas sans conséquences sur les relations commerciales des agences avec ces compagnies... Le SNAV combattra toute forme de discrimination entre les canaux de réservation ». Fabrice Dariot, patron de l'agence de voyage en ligne Bourse des vols, membre du SNAV, commente : « Cette reprise en main des compagnies aériennes sur la distribution est néfaste aux consommateurs. Si le billet d’avion a depuis 20 ans autant baissé, c’est parce qu’il y a une transparence tarifaire, avec une multitude d’acteurs qui ont pu agir et mis en place de la comparaison tarifaire et vendre les billets aux différents tarifs des compagnies. A partir du moment où on va reconstituer des compagnies qui vont vouloir obliger les consommateurs à aller en direct sur leur site internet, toute faculté de comparaison tarifaire deviendra extrêmement compliquée voire impossible, et toute comparaison de compagnies entre elles dans l’intérêt du consommateur pour faire baisser les prix va être aussi impossible. A l’arrivée les compagnies ne vont jamais dire aux consommateurs qu’il existe une offre moins chère chez la concurrence. Si le consommateur veut continuer à avoir le meilleur prix, il doit pouvoir aller dans une agence de voyage qui va le conseiller et lui donner les meilleures combinaisons tarifaires ». Au niveau européen, l'ECTAA (Association européenne des agents de voyages et des tour-opérateurs) se prépare à une riposte juridique, comme la distorsion de concurrence et l’information biaisée, pour empêcher Lufthansa d'imposer sa nouvelle taxe. « Le groupe Lufthansa pourrait être en position dominante sur certaines routes, notamment en Allemagne, en Autriche, en Belgique ou en Suisse. Si cela est établi nous pouvons supposer que sur ces lignes, l'augmentation tarifaire ne pourra pas être mise en place» , a dindiqué Michel de Blust, secrétaire général de l'ECTAA. Par ailleurs, l'article 23 du règlement européen 1008/2008 sur les services aériens précise que les tarifs aériens doivent être transparents, accessibles, pour les consommateurs et les agents de voyages, sans discrimination sur la base de leur lieu de résidence, et du lieu d'établissement. Dans ce cas, la compagnie allemande pourrait-elle imposer des tarifs différents entre son propre site internet et ceux des agences de voyage ? « Tout ça, c’est lobby contre lobby, et le lobby des compagnies aériennes est extrêmement puissant », résume Fabrice Dariot de Bourse des vols. « Les compagnies européennes réclament à mi-mot l’aide étatique pour les sauver mais en même elles ne traitent pas très bien leurs distributeurs, des agences de voyage qui sont des PME... Voilà des gens qui demande de l’aide publique mais en même temps portent atteinte aux PME qui elles-mêmes pourvoyeuses de création d’emplois. Et en même ca fait le jeu des compagnies du Golfe. On assiste à un fait paradoxal : les compagnies européennes prennent des postures qui sont dérangeantes pour le réseau de distribution et indisposent les agences de voyage, mais elles-mêmes se plaignent de la montée en puissance des compagnies du Golfe mais en même temps elles précipitent leurs alliés naturels que sont les agences de voyage vers les compagnies du Golfe. Ces dernières n’en demandent pas tant…»