Le Syndicat National des Pilotes de Ligne (SNPL France ALPA) a annoncé le dépôt d’une plainte pour violation du secret professionnel contre le directeur du BEA, accusé d’avoir « fuité » des informations au New York Times après le crash de la compagnie aérienne low cost Germanwings dans les Alpes. Dans son communiqué du 4 janvier 2016, le SNPL justifie sa plainte avec constitution de partie civile devant le TGI de Paris par la chronologie des déclarations, suite à catastrophe du vol 4U9525 de la low cost allemande dont le copilote avait volontairement crashé l’Airbus A320 contre un flanc de montagne le 24 mars 2015, tuant les 144 passagers et six membres d’équipage qui se trouvaient à bord. Selon le syndicat, le Directeur du Bureau d’Enquêtes et d’Analyses Remi Jouty « tenait une conférence de presse le 25 mars au soir dans laquelle il annonçait que des données utilisables de l’enregistreur de conversations du cockpit (CVR) avaient été extraites mais qu’aucune hypothèse ne pouvait, à ce stade, être fournie. Il indiquait également que l'exploitation des données audio était un travail qui prendra(it) plusieurs semaines, voire plusieurs mois ». Or, ajoute le SNPL, « de façon surprenante, dans la nuit du 25 au 26 mars, le New York Times dévoilait dans un article de Mme Nicola Clark les causes de l’accident établies sans contestation possible à partir des données extraites du CVR ». Le SNPL rappelle qu’il avait en son temps « exprimé son indignation quant aux fuites durant l’enquête, lesquelles avaient manifestement servi à alimenter l’auteur de cet article » ; et avait alors porté plainte contre X pour violation du secret professionnel. Cette première plainte vient de faire l’objet d’un classement sans suite « au motif qu’il n’a pas été possible d’identifier l’auteur de la violation du secret professionnel, les personnes ayant eu accès aux données du CVR étant trop nombreuses », déclare le syndicat. Le SNPL France ALPA « ne peut se satisfaire » de cette décision qui « reconnaît indéniablement l’existence d’une faute mais qui met fin aux investigations pour en découvrir l’auteur ». En conséquence, « afin que toute la lumière soit faite sur ce dysfonctionnement inacceptable du BEA et sur son manque d’indépendance chronique déjà dénoncé dans plusieurs enquêtes », une plainte avec constitution de partie civile est désormais entre les mains du Doyen des Juges d’Instruction du Tribunal de Grande Instance de Paris. [caption id="attachment_141490" align="alignleft" width="160"]@Sebastien-Mortier @Sebastien-Mortier[/caption] La divulgation par le New York Times d’informations concernant l’absence d'un pilote dans le cockpit au moment du crash avait fait beaucoup de bruit, le procureur de Marseille Brice Robin jugeant en conférence de presse dès le 27 mars que le BEA lui avait donné des informations « un peu trop tardivement à mon goût ». Et il accusait alors le copilote Andreas Lubitz d’être responsable du crash, allant jusqu’à citer le rythme de sa respiration. Le BEA à l’époque n’avait fait aucun commentaire, s’en tenant à la version « il est trop tôt pour tirer la moindre conclusion sur ce qu'il s'est passé », mais les syndicats de pilotes avaient protesté contre ce « voyeurisme de la pire espèce ». Une enquête avait effectivement prouvé selon le SNPL que le directeur du BEA avait d’abord téléphoné à ses homologues du BFU allemand et au ministère français des transports, avant de contacter le procureur ou les familles. Or, rappelle le syndicat dans son communiqué, en sa qualité de Directeur du BEA M. Jouty est signataire de « l’accord préalable relatif aux enquêtes de sécurité aérienne qui organise la collaboration entre les autorités judiciaires et le BEA ». Cet accord rappelle en son article 12 que « le personnel du BEA est tenu au secret professionnel, en application du Règlement 996/2010 ». Son article 11 précise que « dans l’hypothèse de la découverte d’un acte d’intervention illicite le BEA doit aviser immédiatement l’autorité judiciaire en la personne du Procureur de la République ». Par ailleurs, le Règlement 996/2010 prévoit « qu’avant de rendre publiques les informations résultant des observations factuelles et de la procédure d’enquête de sécurité, l’autorité responsable des enquêtes de sécurité doit les transmettre aux victimes et à leurs proches ou à leurs associations ». Cet article prévoit également que « une communication concertée entre l’autorité responsable des enquêtes de sécurité et l’autorité judiciaire peut par ailleurs être organisée ». Le SNPL égrène tous les organismes susceptibles d’avoir été à l’origine de la fuite du New York Times : l’information aurait pu être fournie par une personne appartenant « au Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie, au Secrétariat d’Etat en charge des Transports de la Mer et de la Pêche, à la DGAC, au BEA, à la GTA, ou même à Airbus ou à Germanwings dont certains membres étaient associés à l’enquête du BEA comme conseillers techniques ». Beaucoup de monde donc, et sachant que le NYT ne révèlera pas ses sources, on peut se demander quelle chance la plainte du SNPL a d’aboutir – et à quoi cela servira. Un porte-parole du syndicat a déclaré hier aux Echos que l’objectif de la nouvelle plainte « n’est pas de mettre en cause personnellement Mr Jouty, mais de mettre en lumière les dysfonctionnements inacceptables du BEA, dont le manque d’indépendance a déjà été dénoncé à plusieurs reprises ».