Le pilote d’essai André Turcat s’est éteint à Paris lundi 4 janvier 2016 à l’âge de 94 ans. Il a marqué l’histoire de l’aéronautique française, en particulier le 2 mars 1969 quand il prit aux commandes du premier vol du Concorde. Le directeur général de l’Aviation civile Patrick Gandil a salué hier la mémoire du « pilote d’essai de légende », la DGAC rappelant comment en 1969 sur la piste de l’aéroport de Toulouse-Blagnac André Turcat parvenait à décoller avec le premier prototype, baptisé 001, de l’avion supersonique franco-anglais. Le pilote était aussi aux commandes quand le Concorde a franchi pour la première fois le mur du son, le 1er octobre 1969. Géant au crâne chauve, au regard clair, surnommé "le Grand Turc" par ses collaborateurs, ce pionnier de l’aéronautique moderne s’était fait une spécialité de battre les records, ainsi en devenant en 1954 à bord de l’avion expérimental Gerfaut 1, le premier pilote européen à franchir le mur du son en palier. En 1957, sur le Gerfaut 2, il bat plusieurs records du monde de vitesse ascensionnelle (6.000, 8.000 et 12.000 mètres) et en 1959, sur le Griffon 2, il établit le record mondial de vitesse en circuit fermé sur cent kilomètres, à la moyenne de 1.640 km/h. Les essais d’André Turcat sur les vols à Mach 2 (deux fois la vitesse du son) et ses travaux sur le statoréacteur lui valent, en 1959, de recevoir des mains du vice-président Richard Nixon le Harmon Trophy, la plus haute récompense aéronautique américaine. Fait exceptionnel, il le recevra une seconde fois, en 1970, pour le Concorde. Titulaire de plus de 6.000 heures de vol, il est aussi commandeur de la Légion d’honneur, grand officier de l’Ordre national du mérite et commandeur de l’Empire britannique. Né le 23 octobre 1921 à Marseille dans une famille de constructeurs d’automobiles, André Turcat sort de l’Ecole Polytechnique en 1942. Officier de l’Armée de l’air, breveté pilote en 1947, il se retrouve chef d’opérations en Indochine. Nommé en 1952 directeur de l’école du personnel navigant d’essai de l’Armée de l’air, il entre, l’année suivante, comme chef pilote d’essais à la SFECMAS (Société française d’étude et de construction de matériels aéronautiques spéciaux), absorbée bientôt par Nord-Aviation. C’est alors qu’il met au point les Gerfaut et le Griffon. A Sud-Aviation (devenu Aérospatiale puis EADS) de 1964 à 1976, il devient directeur des essais en vol du Concorde. Le 22 janvier 1971, Michel Debré, Ministre d’Etat chargé de la Défense Nationale, lui remet les insignes de Commandeur de la Légion d’Honneur. En 1973 au salon du Bourget, après une démonstration spectaculaire du Concorde, André Turcat est convié à bord du Tupolev-144, son concurrent soviétique surnommé "Concordski", mais il repousse l’invitation. Quelques instants plus tard, l’avion russe s’écrase en flammes après un décollage à pleine puissance, tuant les six membres d’équipage et huit personnes au sol. En 1973 également, Pierre Léna, alors jeune chercheur en astrophysique, eut l’idée d’utiliser Concorde pour observer une éclipse quand il prit conscience que l’avion se déplaçait à la même vitesse que l’ombre projetée de la Lune à la surface de la Terre. Il lui fallu une heure seulement pour que le charismatique pilote d’essais en chef du programme Concorde embarque dans ce projet. Le 30 juin, alors qu’au sol les observateurs placés sur la trajectoire de l’ombre ne disposeraient que de sept minutes d’obscurité totale, à bord de Concorde ils bénéficièrent de 74 minutes d’observations pour cette éclipse du siècle, prouesse de calcul et de pilotage. André Turcat effectue son dernier vol le 31 mars 1976 avant de prendre sa retraite ; il a 54 ans. En 1983, il contribue au lancement de l’Académie nationale de l’Air et de l’Espace à Toulouse. Il devient aussi docteur ès-lettres en histoire de l’art en 1990 et licencié de théologie catholique en 2003. Père de trois enfants, André Turcat avait raconté l’aventure du Concorde dans plusieurs ouvrages, dont "Concorde, essais et batailles", et a aussi écrit ses mémoires, intitulées "Pilote d’essais". A l’occasion de l’anniversaire du premier vol historique du Concorde, en mars 2009, il avait déclaré : « Si l’on veut considérer que le premier kilomètre en circuit fermé d’Henri Farman en 1908 marquait le début de l’aéronautique utile, l’audace de la première conception, en 1958, d’emmener cent passagers à Mach 2,02 se situait à la moitié de l’histoire de l’aviation » Et de poursuivre : « Pour ma part, ayant rencontré Henri Farman, Gabriel Voisin, Henri Fabre, ce vol du 2 mars 1969 marque de façon fulgurante l’accélération de l’Histoire ». Pour le directeur général de l’Aviation civile Patrick Gandil, « c’est une immense personnalité qui nous quitte, j’adresse mes plus sincères condoléances à sa famille, ses proches ainsi qu’à toute la communauté aéronautique ». Le secrétaire d’Etat chargé des transports Alain Vidalies estime qu’André Turcat « a écrit quelques-unes des plus belles pages notre industrie aéronautique ». air-journal-concorde-premier-vol