Il ne se passe pas de semaines sans que telle compagnie ou telle autre ne communiquent sur leur « Frequent Flyer Program » (FFD), leur programme de fidélité. Sachant que la clientèle Affaires représente seulement 10 % des passagers mais plus de 30 % du chiffre d’affaires long-courrier des compagnies aériennes traditionnelles, comme Lufthansa ou Air France-KLM, fidéliser ces grands voyageurs est un enjeu crucial. Inventé par les compagnies américaines voilà une trentaine d’années, cet outil marketing accorde des miles au passager. En gros, plus le billet d'avion est cher (en classe Première et classe Affaires donc), plus le passager obtient de miles pour les échanger plus tard contre un billet gratuit. De quoi le fidéliser ! En France, bon nombre de voyageurs Affaires privilégient Air France et ce, même lorsque les billets d'autres compagnies sont plus compétitifs, afin d’obtenir le plus grand nombre de miles gratuits utilisés à titre personnel. Peu importe le prix du voyage, c’est l’employeur qui paie !  Mais à l’heure où les entreprises françaises cherchent à faire des économies, des voix s’élèvent pour dénoncer les programmes de fidélité, qui profitent avant tout aux compagnies aériennes et aux grands voyageurs à titre individuel et cela aux frais de leur entreprise, puisque c’est elle qui paie au final les billets d’avion. « Typiquement, nous, en tant que réseau de distribution, nous sommes tout le temps sollicités par des gens à qui nous proposons des offres plus avantageuses pour leur employeur, mais qui n'en veulent pas pour pouvoir cumuler leurs miles pour partir gratuitement en villégiature avec leur famille », confirme Fabrice Dariot, PDG de l’agence de voyages en ligne Bourse des vols. Et d’ajouter : « L'homme d'affaires ne va, parfois, pas désirer voyager au meilleur rapport/prix, il va chercher à influencer son employeur - qui est le payeur - en fonction de ses intérêts propres pour ses vacances personnelles. Celui qui a payé n'est pas celui qui bénéficie de l'effet de fidélité. » Est-ce un système pervers ? Il y a là un souci éthique, mais peut-on parler d'abus de biens sociaux ? En France, selon la loi, l'abus de biens sociaux est un délit qui consiste, pour un dirigeant de société commerciale, à utiliser en connaissance de cause les biens, le crédit, les pouvoirs ou les voix de la société à des fins personnelles, directes ou indirectes. En Allemagne (comme d’ailleurs dans les pays scandinaves), la question des miles ne se pose pas : lorsqu’un salarié se déplace en avion et que le billet est payé par sa société, cette dernière est systématiquement bénéficiaire des miles. A elle de les attribuer ensuite à qui elle veut, à tel salarié ou tel autre. Si les miles sont utilisés à titre privé par le salarié, ils sont considérés comme un avantage en nature et donc imposables au titre de l'impôt sur le revenu. L’Allemagne impose donc une fiscalité sur les miles. « Ce système de fidélisation est doublement pervers, souligne Fabrice Dariot. Oui, il détériore la valeur ajoutée du réseau de distribution puisque cette fidélisation se fait au détriment du conseil avisé de l'agence de voyages. En effet, son rôle de prescripteur, d'identificateur et de conseiller de voyages révélant le meilleur vol au meilleur prix dans l'intérêt de l'employeur, et du payeur, est battu en brèche par certains usagers qui ne pensent qu'à leurs avantages privés. Les programmes de fidélité des compagnies aériennes se font au détriment de l'intérêt du marché, des agences de voyages et surtout des entreprises qui sont les payeurs. Tout ça n'est pas très éthique, très opaque, alors que le problème est résolu dans les pays plus matures comme les pays nordiques. » « Aujourd'hui, ne devrait-on pas demander au SNAV [Syndicat national des agences de voyages] de réfléchir à une fiscalisation des miles financés par une entreprise ? », annonce le patron du discounter Bourse des vols. Pour ce dernier, les miles, lorsqu'il y a transmission d'une personne morale vers une personne physique, recèlent « une valeur économique indéniable ». « En conséquence, cette transmission de miles d'une personne morale vers une personne physique est troublante, puisqu'une personne morale n'a pas le droit de donner des biens ou services à une personne physique en franchise de frottement social et fiscal. Nous souhaiterions que cette transmission soit fiscalisée. Le SNAV devrait militer pour l’obtention, en compensation de la fiscalisation des miles transmis d’une personne morale à une personne physique, d’un abaissement des charges sur les bas salaires, ou bien des heures supplémentaires, qui seraient créatrices d’emplois ou de pouvoir d’achat, dans notre pays. » « Les programmes de fidélité des compagnies aériennes se font au détriment de l'intérêt du marché, des agences de voyages, des entreprises qui sont les payeurs. Tout ça n'est pas très net, alors que le problème est résolu dans des pays plus matures comme les pays nordiques », résume Fabrice Dariot qui est membre de la commission Air du SNAV.