La guéguerre des communiqués entre les compagnies aériennes du Golfe et leurs rivales occidentales se poursuit : pour Emirates Airlines, les consommateurs américains et les économies régionales sont les principales victimes de la campagne protectionniste menée par trois compagnies américaines, tandis que le PDG d’Etihad Airways souligne que le ciel ouvert sans droit de trafic est un modèle de réussite qui génère d'énormes avantages pour les voyageurs et pour les compagnies aériennes aux Etats-Unis, aux Emirats arabes unis et dans le monde. Qatar Airways avait été la première à riposter à l’accusation d’American Airlines, Delta Air Lines et United Airlines selon qui les trois compagnies du Golfe ont accumulé 42 milliards de dollars de subventions en dix ans. Présents à Washington, les dirigeants des deux transporteurs des Emirats Arabes Unis ont développé leurs arguments. A commencer par le long communiqué d’Emirates Airlines, signé Tim Clark, pour qui « les consommateurs américains, les aéroports internationaux, les économies et les secteurs d’activité locaux et régionaux seront in fine les victimes de la campagne protectionniste » menée par les trois Américaines. « Tout ce débat autour de prétendues subventions et du caractère équitable ou non de la concurrence au regard de telle ou telle législation, n’est qu’une diversion par rapport à la question centrale qui est posée – les trois principaux transporteurs aériens US qui, avec leurs partenaires/joint ventures respectifs, contrôlent déjà environ les deux tiers des vols internationaux à partir des États-Unis, veulent limiter plus encore les choix dont disposent les consommateurs américains, les aéroports, les économies locales et régionales, en termes de transport aérien international », a souligné le PDG. « Les consommateurs devraient demander à Delta, à American et à United pourquoi ils figurent au nombre des compagnies aériennes les plus rentables dans le monde, alors qu’ils sont loin d’être classés parmi les meilleurs dès lors qu’il s’agit de qualité de service ou de produits », a poursuivi le président d’Emirates (Skytrax a classé en 2014 Emirates n°4 mondiale, alors que Delta, United et American apparaissaient respectivement en 49e, 53e et 89e position). Et il ajoute que « les aéroports, les offices nationaux du tourisme, les chambres de commerce et les entreprises devraient de leur côté demander aux régulateurs et aux législateurs pourquoi des liaisons aériennes internationales directes – si cruciales pour les entreprises, et critiques pour le tourisme, devraient être limitées à quelques plateformes aériennes desservies par les trois principaux transporteurs US et leurs partenaires, avec lesquels ils coordonnent tarifs et capacités, sous couvert d’une immunité antitrust ». Le PDG d’Emirates Airlines promet de répondre point par point avec « des documents financièrement et juridiquement validés » aux accusations contenues dans le Livre Blanc des compagnies américaines, élaboré en deux ans « avec l’apport financier qu’on peut imaginer de la part de leurs actionnaires » et contenant « une liste d’allégations basées sur de fausses hypothèses et une logique hasardeuse ». Parmi les exemples cités par Tim Clark, on retiendra l’allégation selon laquelle Emirates a bénéficié depuis 2004 de 2,3 Md $ en infrastructures aéroportuaires subventionnées, ce qui constitue un « avantage concurrentiel majeur ». Réponse d’Emirates : « les investissements réalisés dans les infrastructures sont, par nature, des investissements à long terme. Le gouvernement de Dubaï a réalisé ces investissements, à l’instar d’autres économies émergentes (Chine et Singapour, notamment), en ayant à l’esprit des avantages à long terme. Des taxes aéroportuaires comparativement inférieures, ou des exemptions de charges pour les passagers en transit, ne sont ni des subventions, ni discriminatoires, dans la mesure où toutes les compagnies aériennes qui utilisent les infrastructures de l’aéroport international de Dubaï (DXB) en bénéficient elles aussi. Emirates paie à DXB la totalité des taxes et charges publiées, qui s’avèrent être très compétitives, basées sur les pratiques commerciales en vigueur, et de fait supérieures à celles d’un certain nombre d’autres grandes plateformes aéroportuaires comparables, comme celle de Kuala Lumpur (KUL) ». Autre allégation : les compagnies aériennes du Golfe s’approprient les passagers des compagnies US, et ponctionnent les revenus qui y sont associés, contraignant celles-ci à réduire, supprimer ou renoncer à différents services sur les liaisons internationales. Réponse d’Emirates : « malgré ce que semblent croire certains, les compagnies aériennes ne sont pas propriétaires des passagers. Emirates se présente tout simplement comme un acteur concurrent sur le marché – et ‘ne s’approprie ni vole’ des clients aux autres compagnies. Nous offrons un produit de grande qualité à un prix compétitif, qui s’avère très attractif auprès de consommateurs qui choisissent de voler à bord de nos avions. Le caractère obsessionnel des trois transporteurs US à l’égard des parts de marché rend d’autant plus apparent ce à quoi ils aspirent : non pas à la concurrence, non pas à des marchés ouverts ou à une politique équitable de « ciel ouvert », mais à une attribution gouvernementale étroite des marchés ». aj_emirates b777Considérant qu’il n’y a quasiment aucun chevauchement entre le réseau aérien d’Emirates et ceux de Delta, American ou United, « cette campagne menée par les transporteurs US n’a pour seul but que de protéger les revenus enregistrés avec leurs partenaires/joint ventures. Mais pourquoi le gouvernement défendrait-il les intérêts des partenaires européens de ces trois compagnies américaines ? A cet égard, quel est l’intérêt national des États-Unis à forcer les passagers à effectuer des connexions peu commodes à Francfort, Paris, Amsterdam ou Londres, en les privant du droit de choisir des itinéraires plus efficaces, avec un niveau de service supérieur ? » Emirates Airlines a détaillé « l’impact économique positif » de ses services aux Etats-Unis : sur la base d’une demande commerciale rationnelle, Emirates a progressivement élargi ses services aux États-Unis. De sept vols hebdomadaires entre New York-JFK et Dubaï en 2004, Emirates est aujourd’hui passé à 84 vols par semaine assurés depuis neuf grands aéroports américains – Boston, Chicago, Dallas/Fort Worth, Houston, Los Angeles, New York, San Francisco, Seattle et Washington DC. La valeur économique annuelle des services assurés par Emirates sur ces aéroports, et dans les régions avoisinantes, est estimée à 2,8 milliards de dollars. Depuis les États-Unis, « nos avions transportent des passagers vers 56 destinations, en Afrique (18 points), en Asie-Pacifique (25 points) et au Moyen-Orient (13 points), qui ne sont desservies par aucune compagnie aérienne américaine. Et nous assurons ces liaisons avec un seul changement d’avion à Dubaï. Le fort coefficient d’occupation moyen (plus de 80 %) enregistré en 2014 sur nos liaisons avec les États-Unis atteste clairement de la demande des clients en faveur des services proposés par Emirates ». Elle ajoute que les exportations US vers les Emirats Arabes Unis ont enregistré une croissance de 503 % depuis qu’Emirates a inauguré en 2004 ses services aériens avec les Etats-Unis : « les EAU sont aujourd’hui le marché N°1 pour les exportations américaines vers le Moyen-Orient. Nos vols entre les États-Unis et Dubaï ont permis, depuis 2004, de transporter 470 000 tonnes de marchandises de haute valeur ». De plus, les liaisons aériennes vitales qu’assure Emirates depuis les États-Unis vers de nombreux marchés en développement non desservis actuellement par les compagnies américaines, facilitent le commerce extérieur US et ouvrent de nouveaux marchés et opportunités aux exportateurs, contribuant ainsi à dynamiser la croissance économique, le commerce et la création d’emplois. Emirates en profite pour citer une étude indépendante publiée en janvier par des économistes et universitaires américains (“The Impact of Gulf Carrier Competition on US Airlines” – Martin Dresner (Université du Maryland), Cuneyt Eroglu (Université Northeastern), Christian Hofer (Université de l’Arkansas), Fabio Mendez et Kerry Tan (Loyola University Maryland), qui a examiné l’impact de la concurrence des compagnies aériennes du Golfe sur le trafic passagers et les tarifs des transporteurs US sur les liaisons internationales. Cette étude « montre que l’arrivée des transporteurs aériens du Golfe a permis de stimuler et d’accélérer la croissance du marché en termes de volume de trafic entre les États-Unis et le Moyen-Orient, et conclut, en ce qui concerne les autres marchés, que l’ « arrivée des compagnies du Golfe s’est, de même, traduite par un équilibre plus compétitif, basé sur la demande du marché, qui indique globalement un gain net pour la société ». Tim Clark explique : « Il n’est pas bien difficile de souligner que les trois principales compagnies aériennes US bénéficient elles-mêmes d’avantages inéquitables, et notamment d’un accès privilégié au plus grand marché aéronautique du monde, avec une totale immunité de leurs joint ventures au regard de la législation antitrust, aux termes du Chapitre 11 et de la législation sur les prestations de retraite, de diverses modalités de soutien de la part de plusieurs États dans le pays, et d’infractions à la tarification sur les carburants. Nous pourrions établir une liste complète et créer un dossier similaire à leur livre blanc. Mais, une fois encore, la question n’est pas là. Ce qui importe vraiment ce sont les choix proposés aux consommateurs, et les avantages qu’offrent aux nombreux voyageurs des liaisons aériennes internationales directes, en dehors de la coalition Delta-American-United. 75 millions de visiteurs du monde entier ont été enregistrés l’année dernière aux États-Unis, ce qui constitue un chiffre record et un apport extrêmement positif pour l’économie du pays.  Le président Obama a pour objectif de voir ces chiffres passer à 100 millions de personnes à l’horizon 2021, et Emirates se félicite de pouvoir contribuer activement à cet objectif ». Et le dirigeant conclut : il n’y a « aucune raison pour que le gouvernement des États-Unis décide de geler le trafic aérien ainsi mis en place, ou de procéder à un quelconque revirement, simplement pour protéger les intérêts de quelques-uns et de leurs partenaires. Et surtout pas si des restrictions ou le refus du choix concurrentiel sur les liaisons internationales se font au détriment des intérêts des consommateurs eux-mêmes, avec un impact négatif sur plusieurs milliers d’entreprises et de secteurs industriels US qui s’appuient sur un transport aérien efficace pour rester compétitifs au sein d’un marché globalisé ». air-journal_Etihad Airways 787-8 takeoffDu côté de la compagnie nationale des Emirats Arabes Unis Etihad Airways, la réponse du PDG James Hogan est dans les mêmes lignes concernant l’ouverture du ciel, « un modèle de réussite, qui génère d'énormes avantages pour les voyageurs et pour les compagnies aériennes aux Etats-Unis, aux Emirats arabes unis et dans le monde ». Sa compagnie est « comme David, David qui est confronté à des Goliath depuis 2003, lorsque nous avons commencé. Dans presque tous les marchés sur lesquels nous sommes arrivés, nous avons dû faire face à des concurrents existants, avec des entreprises établies, des infrastructures établies, des services de vente et marketing établis, des marques établies et des bases de clients établies ». Il rappelle que la compagnie « a toujours été claire sur le fait qu’elle avait bénéficié d’investissements financiers et de prêts d’actionnaires, qui ont été complétés par 10,5 milliards de dollars US de prêts de la part d’institutions financières internationales. Notre actionnaire, comme tout actionnaire rationnel dans le monde, a pris cet engagement pour nous car il s’attend à un retour sur investissement, et comme il voit de plus en plus de succès dans notre entreprise, il voit également l'opportunité de rendements encore plus élevés à l'avenir. Le mot-clé est le retour sur investissement ». Il souligne aussi qu’Etihad Airways est « un client majeur de Boeing, GE, Sabre et de nombreux autres entreprises américaines, un partenaire stratégique par exemple pour Atlas dans le fret, et qu’lle travaille au USA avec les institutions financières, l’office du tourisme et les aéroports » ; un engagement qui représente « 200 000 emplois » dans l’économie des USA. Et rappelle que son premier 787 Dreamliner (71 commandés) vient de s’envoler vers Washington, l’ensemble des près de 120 avions commandés chez Boeing représentant un contrat de 36 milliards de dollars… En conclusion, James Hogan estime que tout cela « n’est finalement qu’une question de choix du consommateur. Les clients choisissent de voler sur Etihad Airways parce que nous offrons un excellent produit, un service remarquable, sur les routes qu'ils veulent emprunter, à des prix qui sont concurrentiels sur ces marchés. Ils nous choisissent parmi de nombreux et différents concurrents, dépendant du marché dans lequel nous sommes. Mais très honnêtement, il est très rare que les transporteurs américains offrent ces alternatives. Aucun transporteur américain ne vole vers Abu Dhabi. Il y a très peu de transporteurs américains qui opèrent où nous sommes, sur le sous-continent indien, en Asie du Sud-est ou au Moyen-Orient. Nous ne nous excusons pas d’offrir un choix nouveau et concurrentiel aux voyageurs aériens. Nous espérons continuer à le faire dans le monde entier ».