Chaos dans les aéroports indiens après des centaines d’annulations chez IndiGo, la plus grande compagnie du pays, prises au piège de nouvelles règles plus strictes sur le temps de travail des équipages.

Depuis le début de la semaine, les principaux hubs indiens – Delhi, Mumbai, Bengaluru, Hyderabad ou encore Kolkata – sont le théâtre de scènes de désorganisation, avec des passagers dormant à même le sol, des files interminables aux comptoirs et des informations parcimonieuses sur le statut des vols. Rien que jeudi, plus de 300 vols IndiGo ont été annulés et plusieurs centaines d’autres retardés, un volume inédit pour cette compagnie réputée jusque-là pour sa ponctualité. Cette crise opérationnelle, qui dure depuis plusieurs jours, met en lumière la fragilité du modèle à très forte utilisation des avions face à un durcissement des normes de sécurité, notamment en matière de fatigue des pilotes.

Vendredi, l’aéroport de Delhi a même diffusé un avis recommandant aux passagers de considérer tous les vols domestiques IndiGo comme annulés jusqu’à minuit, tant la situation était instable. Les autres grands transporteurs indiens, notamment Air India, n’ont pas rencontré de perturbations comparables, ce qui renforce l’attention portée à la stratégie spécifique d’IndiGo. Beaucoup de clients évoquent l’absence de réacheminement efficace et la nécessité d’acheter des billets au dernier moment sur des concurrents à des tarifs élevés, ce qui alimente la polémique dans un marché où IndiGo occupe une position ultra-dominante.

Nouvelles règles FDTL : la sécurité avant tout

À l’origine de cette crise, un changement majeur des règles de limitation du temps de vol et de service des équipages (Flight Duty Time Limitations, FDTL) introduites par la Direction générale de l’aviation civile (DGCA) indienne. Ces normes, appliquées en deux phases en 2025, visent à réduire la fatigue des pilotes en allongeant les périodes de repos et en serrant la vis sur les opérations de nuit, dans un contexte de croissance rapide du trafic domestique.

Depuis le 1er novembre (phase 2), la plage de « nuit » s’étend désormais de 00 h 00 à 6 h 00, l’amplitude de service de nuit est limitée à 10 heures, le temps de vol à 8 heures et les pilotes ne peuvent plus effectuer que deux atterrissages par nuit, contre jusqu’à six auparavant. Les règles imposent en outre 48 heures consécutives de repos hebdomadaire, contre 36 heures auparavant, ce qui réduit mécaniquement la disponibilité des équipages si le dimensionnement des effectifs n’est pas adapté.

Pourquoi IndiGo est-elle la plus touchée ?

Ces nouvelles règles s’appliquent à l’ensemble des compagnies indiennes, mais IndiGo se révèle de loin l’acteur le plus durement impacté. La low-cost opère plus de 2 300 vols par jour, avec une flotte de plus de 400 avions, et détient environ 65% du marché domestique, avec une part qui oscille autour de 60–65% depuis 2024–2025. Son modèle repose sur une utilisation intensives des appareils et des équipages, avec des rotations très serrées et une présence massive sur les créneaux matinaux et nocturnes, précisément ceux ciblés par le durcissement des FDTL.

Des experts cités par la presse indienne estiment que la compagnie connaissait depuis longtemps le calendrier des nouvelles règles, notifiées dès janvier 2024 après des recours de syndicats de pilotes, mais n’aurait pas anticipé suffisamment tôt l’ajustement des plannings et le renforcement des effectifs. Certains vont jusqu’à évoquer une stratégie possible de pression sur le régulateur pour obtenir un assouplissement, accusation que la compagnie ne reconnaît pas officiellement, évoque The Industan Times.

Une réaction tardive de la direction et léger rétropédalage des autorités indiennes

Dans un message interne adressé aux salariés, le directeur général d’IndiGo, Pieter Elbers, a présenté ses excuses et évoqué une combinaison de facteurs : pannes informatiques, modifications d’horaires, météo défavorable, congestion accrue des aéroports et, surtout, mise en œuvre des nouvelles règles de service des équipages. La compagnie a annoncé des « ajustements calibrés » de son programme, autrement dit une réduction volontaire de son offre pour retrouver une exploitation plus stable.

IndiGo a demandé au gouvernement des dérogations temporaires pour l’application de certains points des nouvelles FDTL, indiquant qu’un retour à la normale complet est visé d’ici le 10 février. Dans l’intervalle, le transporteur prévoit de réduire encore ses opérations à partir du 8 décembre afin de limiter l’effet domino des retards et annulations. Le ministère indien de l’Aviation civile a reconnu que les perturbations provenaient « principalement d’erreurs d’appréciation et de lacunes de planification » lors de la mise en œuvre de la seconde phase des règles, tout en soulignant qu’IndiGo avait admis avoir sous-estimé l’impact sur ses ressources équipage.

Face à l’ampleur des perturbations et au risque de contagion à l’ensemble du réseau intérieur, les autorités ont déjà suspendu ou assoupli certains volets des nouvelles règles, en particulier les dispositions les plus pénalisantes sur le service de nuit, tout en maintenant les objectifs de sécurité liés à la réduction de la fatigue.