Les syndicats de pilotes appellent à de nouvelles règles sur les limitations de temps de vol (FTL), après qu’une étude de l’EASA auprès de 24 compagnies aériennes a montré que malgré la récente législation européenne, ils sont confrontés à des niveaux de fatigue inhabituellement élevés et incompatibles avec un niveau de sécurité de vol acceptable.

ECA (European Cockpit Association) au niveau européen et le SNPL en France ont mis en lumière le 5 mars 2019 le constat d’une nouvelle étude qui révèle les lacunes majeures des limitations de temps de vol, les règles régissant la durée des vols, des temps de service et des repos des pilotes pour les vols de nuit et les horaires décalés. Cette étude, basée sur les pratiques de 24 compagnies aériennes et réalisée pour le compte de la Commission Européenne et de l’Agence Européenne de la Sécurité Aérienne (EASA), montre que les vols de nuit et les “horaires perturbateurs” entraînent des niveaux de fatigue très élevés chez le personnel navigant. Déjà au printemps 2017, une enquête européenne menée auprès de 15.680 pilotes, hôtesses de l’air et stewards (PNC) avait relevé des niveaux potentiellement critiques de fatigue dans ces deux domaines. Dès lors, explique le communiqué du syndicat, une étude approfondie méritait d’être menée afin de déterminer si les règles de l’UE concernant les FTL sont « efficaces pour éviter une fatigue préjudiciable à la sécurité des vols à bord des avions européens ».

Les vols de nuit sont particulièrement éprouvants, souligne l’étude. Les règles européennes autorisent des temps de vols de 11h de nuit – et jusqu’à 12h45 pour un départ tard dans l’après-midi – sans pause, mais avec la nécessité d’être éveillé et alerte tout au long du vol. L’étude démontre que non seulement les très longs vols de nuit (10 heures ou plus), mais aussi tous les vols de nuit, quelle que soit leur durée, entraînent une fatigue excessive de l’équipage. Ces résultats sont particulièrement pertinents pour les vols long-courriers car, dans la pratique, les limitations de temps de vol de nuit déterminent le nombre de pilotes à bord des vols long-courriers comportant un service de nuit à l’aller ou au retour.

La deuxième source majeure de fatigue, appelés horaires perturbateurs, concerne principalement les opérations court et moyen-courrier. Ce sont les horaires qui commencent tôt le matin (par exemple à 5h00) ou se terminent tard le soir / pendant la nuit (par exemple de 23h00 à 01h59). La gestion de la fatigue lors d’enchaînements de plusieurs blocs de vols consécutifs en horaires décalés et la succession des « vols du matin » et des « vols du soir » est pour le syndicat un sujet de préoccupation pour les pilotes court/moyen-courriers.

L’étude dévoilée hier confirme que ces tâches perturbent gravement l’horloge biologique des intéressés et leur rythme veille-sommeil ; elle « conforte aussi le ressenti des milliers de pilotes qui effectuent ces vols tous les jours. C’est pourquoi ce risque doit être pris au sérieux et inciter à une révision immédiate des règles européennes en matière de limitations de temps de vol ». L’étude confirme également plusieurs évaluations scientifiques antérieures recommandant des règles plus strictes en matière de FTL – par exemple, limiter les vols de nuit (avec équipage non renforcés) à 10 heures et limiter le nombre d’horaires perturbateurs consécutifs (par exemple, pas plus de 2 ou 3 à la suite). Le syndicat rappelle que cette étude fait en outre écho aux enquêtes récentes menées auprès des pilotes européens : « la moitié des pilotes de ligne déclarent des niveaux de fatigue qui pourrait compromettre la sécurité des passagers », selon une enquête de 2016 menée par la London School of Economics (LSE) sur la culture de la sécurité, qui a mis en évidence que la fatigue « frappait 6 pilotes européens sur 10, mais que seulement 2 pilotes sur 10 pensaient que la fatigue était prise au sérieux par leur compagnie aérienne ».

La nouvelle étude pour le compte de l’EASA et de la Commission européenne « confirme combien il est malsain de laisser les pilotes et le personnel de cabine voler dans des conditions ayant potentiellement un impact sur le niveau de vigilance des équipages ». ECA et le SNPL France ALPA « espèrent que les résultats de cette étude puissent alerter les régulateurs européens et nationaux quant à l’inadaptation des normes FTL actuelles… car on ne peut combattre son horloge biologique », et disent compter sur « une sérieuse prise de conscience du problème » par les deux instances européennes afin qu’elles « agissent sans tarder » sur la réglementation en vigueur.

Les conclusions de l’étude sont disponibles ici (en anglais). Elle intervient « à un moment où le trafic aérien augmente rapidement, où il est de plus en plus demandé aux pilotes de voler jusqu’à la limite permise par la loi et où la fatigue dans les cockpits européens est devenue une réalité quotidienne et croissante. Depuis la Convention de Chicago de 1944 (OACI), la fatigue des équipages est reconnue comme un risque pour la sécurité des opérations aériennes. La fatigue réduit l’aptitude physique et mentale à fonctionner en toute sécurité. Une personne fatiguée peut perdre 80 % de ses capacités d’attention et 70% de sa réactivité. On estime que la fatigue du pilote contribue à hauteur de 15 à 20% dans les accidents aériens mortels liés à une erreur humaine ».

Fatigue des pilotes : l’Europe doit revoir sa copie 2 Air Journal