Face aux rapides progrès technologiques, il devient indispensable pour le secteur aéronautique d’accélérer la transformation digitale.
Une tribune d’Eric Leibenguth, consultant Search & Machine Learning chez Sinequa
Depuis quelques années, le terme « informatique », ennuyeux et passé de mode, semble avoir été remplacé presque systématiquement par le beaucoup plus excitant « digital ». A l’ère de l’informatique, les dirigeants de grandes entreprises accordaient peu d’importance à la discipline, estimant qu’elle était une source de coûts et ne relevait pas de leur cœur de métier. Encore aujourd’hui les projets de développement sont souvent attribués aux sous-traitants les moins-disant, partant du principe que les développeurs sont équivalents et interchangeables.
Le passage à une transformation digitale pragmatique
A l’ère du digital, les dirigeants ont finalement adopté la fameuse devise de Marc Andreessen, « Software is Eating the World ». Il faut se transformer à tout prix, afin d’éviter d’être disrupté par de nouveaux entrants ambitieux, affamés, plus modernes et plus efficaces.
Le terme « transformation digitale » peut sembler galvaudé, creux, voire ridicule à de nombreux utilisateurs au sein d’une entreprise employés. Dans la plupart des grandes entreprises, les transformations sont essentiellement cosmétiques et superficielles, et ne changent pas vraiment le quotidien de la grande majorité des utilisateurs – y compris leur productivité. Dans les grands groupes, nombreux sont les « knowledge workers » qui courent après l’information, cachée dans des applications archaïques et silotées, oubliée dans des emails, dupliquée, erronée ou périmée… A l’heure où n’importe qui peut « Googler » n’importe quelle information publique instantanément, les collaborateurs comprennent mal pourquoi leur expérience professionnelle de l’informatique est restée bloquée en 1995.
En parallèle, les entreprises mettent en place des équipes spécialisées dans chaque nouveau buzzword anglosaxon. On a donc des équipes « Big Data », des équipes « Machine Learning », des équipes « Internet of Things », etc. Ces équipes, toutes compétentes qu’elles soient, sont malheureusement coupées du reste de l’entreprise, à la fois sur le plan organisationnel et surtout sur le plan culturel. Elles sont cantonnées à réaliser des « Proof of Concepts » ou PoC. Ces amoncellements de prototypes, qui démontrent une faisabilité technique apparente, passent très rarement au stade opérationnel.
D’une manière générale, il est facile de sortir le carnet de chèques pour acheter les logiciels dernier cris, des capacités de calcul dans le Cloud ou pour embaucher des DevOps et autres Data Scientists fraichement sortis d’école.
Il est considérablement plus difficile de produire effectivement de la valeur pour l’entreprise, en production et à l’échelle. C’est-à-dire en passant du stade de la belle démonstration à un stade opérationnel ayant un impact réel sur les revenus de l’entreprise.
Une stratégie digitale à repenser dans le secteur de l’aéronautique
L’industrie aéronautique n’échappe pas à ce constat. Cette industrie ne produit pas des avions en très grandes séries. Airbus a produit son 10000e avion en 2016, et fête ses 50 ans cette année, à comparer aux dizaines de millions de véhicules produits chaque année par les constructeurs automobiles. Produire un avion est une tâche très peu automatisable relevant souvent de l’artisanat, et chaque appareil est unique, dès sa construction. La complexité réside dans l’immense quantité de systèmes à intégrer, tester, et à suivre dans leur cycle de vie.
Les enjeux sont réels. Le coût d’une anomalie détectée trop tard peut s’avérer catastrophique humainement et financièrement, comme Boeing en fait actuellement les frais. A l’inverse, un gain de quelques pourcents dans les performances d’un avion peut se mesurer en milliards pour les compagnies aériennes.
Mais le faible nombre d’avions, très complexes, produits se prête mal aux algorithmes de Big Data et d’Intelligence Artificielle classiques, qui ont été inventés en premier lieu pour exploiter les données très structurées de milliards d’utilisateurs. Les informations critiques sont souvent cachées dans des données disparates, hétérogènes et non-structurées, comme des documents bureautiques, ou des rapports écrits par des techniciens.
Il faut pouvoir chercher une aiguille dans une botte de foin. Cette dernière pouvant parfois cumuler des dizaines de milliers d’utilisateurs et des décennies d’existence. Faute des technologies pour organiser et exploiter cette information, la mémoire de l’entreprise s’étiole, et sa connaissance se limite à la « mémoire vive » des collaborateurs.
Le vrai défi informatique se posant aux industriels est de gérer cette immense complexité, en se reposant sur tous leurs utilisateurs, et pas seulement sur quelques poignées de digital natives. Cela impose de casser les silos d’information et de mettre en place des applications modernes basées sur des technologies de pointes, comme le traitement du langage naturel (NLP) et le machine learning (ML).
Les progrès technologiques phénoménaux dans ces domaines pourront ainsi être déployés auprès du plus grand nombre pour tirer parti de la manne de données non-structurées représentant typiquement 80 % des données de l’entreprise. Cette approche peut d’une part permettre des gains de productivité considérables mais aussi faire émerger de l’information cachée ou oubliée. Ainsi, on pourra retracer l’historique des décisions et choix de design effectués il y a dix ans, ou faire émerger un risque important exprimé par un pilote caché parmi milles autres rapports.
Cela impose naturellement aux dirigeants de repenser leur stratégie de transformation digitale, aujourd’hui trop centrée sur des effets de communication. Pour s’en convaincre, ceux-ci peuvent effectuer un simple sondage auprès de leurs collaborateurs : Combien de temps perdez-vous chaque jour à chercher et traiter l’information dont vous avez besoin dans votre travail ?
Malko a commenté :
23 juin 2019 - 2 h 23 min
On est plus suelemnt dans l’air du temps ! L’industrie aéronautique est elle-même grosse productrice de grosses données (big data). Peut -on simplement imaginer qu’avec les progrès économiques et l’essor des Low cost, de plus en plus de citoyens du monde voyagent par avion et leurs données personnelles sont toutes stockées dans les bases de données des compagnies qui les partagent avec des agences gouvernementales pour des besoins liés à la gestion du Tourisme, à la Sécurité nationale et aux statistiques.
L’aéronautiques doit ainsi comprendre la nécessité de passer au digital dans des domaines insoupconnés de ce secteur. Il ne s’agit plus de cosmétique, mais des enjeux de rentabilité, de sécurité d’optimisation et de gain de temps.
18kh a commenté :
23 juin 2019 - 21 h 41 min
Le numérique est omni présent dans les avions comme dans les services aux avions. C’est un peu comme le prose de Mr Jourdain.
Les performances des avions d’aujourd’hui ne sont là que grâce au numérique. Même chose pour la possibilité de cadencer des milliers de vols avec des centaines d’avions, sans le numérique c’est aujourd’hui impossible.
Le «big data» est une expression fourre tout, bien avant que le «big data» arrive, les compagnies se sont mises a enregistrer les données de chaque vol pour extraire des statistiques permettant d’affiner la préparation de chaque vol pour chaque avion. c’est seulement un exemple.
En fait, il s’agit de mots nouveaux posés sur des pratiques déjà anciennes et qui se développent chaque jour.
Les seuls moments où tout ça est visible, c’est lorsque qu’il y a des pannes: tout s’arrête et l’initiative individuelle pour traiter a la main 1 vol sur 100 n’est même pas prévue.
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