L’aéroport de Nantes-Atlantique se retrouve au cœur d’un enchevêtrement de contentieux et d’arbitrages techniques, huit ans après l’abandon du projet de transfert à Notre-Dame-des-Landes (NDDL). Entre plateforme saturée, couvre-feu contesté et bataille indemnitaire avec Vinci, le hub nantais cristallise désormais les tensions locales autour de la régulation du trafic aérien et des nuisances sonores.

Dans son rapport publié le 29 novembre, la Cour des comptes se concentre sur la situation de l’aéroport de Nantes-Atlantique après l’abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes annoncé en janvier 2018, laissant de côté l’addition globale du « fiasco » initial. Les magistrats rappellent néanmoins que 56 millions d’euros de subventions publiques avaient déjà été engagés dans le projet NDDL, sur un total prévisionnel d’environ 139 millions d’euros, sans compter les indemnisations à venir.

La plateforme historique, enclavée au cœur de l’agglomération nantaise, a presque retrouvé son niveau d’activité d’avant-crise avec environ 7 millions de passagers en 2024, pour un ordre de grandeur de 50 000 à 60 000 mouvements commerciaux annuels. Ce rebond intervient alors que les travaux de modernisation promis après l’abandon de NDDL ont été reportés, accentuant les fragilités opérationnelles d’un aéroport déjà contraint par son environnement urbain.

Une exploitation aéronautique à la limite

La Cour des comptes souligne une exploitation devenue « délicate » en raison de l’inadaptation des infrastructures à un trafic en croissance. Les terminaux jugés exigus compliquent la gestion des flux en pointe, la coactivité sur le tarmac est très élevée et le manque de stationnement véhicule entraîne une multiplication des parkings sauvages dans les communes voisines.

Sur le plan purement aéronautique, la plateforme reste pénalisée par une configuration à une seule piste et un environnement dense, ce qui limite les marges de manœuvre pour absorber de nouveaux créneaux sans dégrader les conditions d’exploitation et la robustesse des programmes. De nombreux vols sont déroutés lors de conditions météorologiques défavorables, en raison de l’axe d’approche désaxé par rapport à la piste. Faute de réaménagement d’ampleur, seules les mises en conformité réglementaires et les maintenances obligatoires ont été réalisées, ce qui ne répond ni à la montée en charge du trafic ni aux objectifs de réduction des nuisances.

Le rapport met en lumière un paradoxe juridique et économique : le décret ministériel du 24 octobre 2019 a acté la résiliation du contrat de concession signé en 2010 avec Aéroports du Grand Ouest (AGO), dominé par Vinci, mais ce contrat continue de s’appliquer tant que la nouvelle concession n’est pas attribuée. L’échec d’un premier appel d’offres en 2023 a repoussé la mise en concurrence et la signature du nouveau contrat à la fin 2026, prolongeant une situation transitoire qui dure déjà depuis plusieurs années.

Ce maintien de facto de l’ancien cadre contractuel complique la gouvernance de l’aéroport et la programmation des investissements structurants, alors que la plateforme est érigée en priorité nationale par les pouvoirs publics. L’Autorité de régulation des transports, dans sa réponse aux observations de la Cour, insiste d’ailleurs sur la nécessité de calibrer le futur contrat sur une durée permettant à la fois une concurrence pour le marché et une régulation économique efficace du pouvoir de marché de l’exploitant.

Une bataille d’indemnités avec Vinci

Le contentieux financier autour de l’abandon de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes reste l’un des nœuds du dossier. La filiale de Vinci, AGO, réclamait initialement à l’État une indemnisation comprise entre 1,4 et 1,6 milliard d’euros au titre de la résiliation pour motif d’intérêt général, couvrant à la fois les dépenses engagées et une partie du manque à gagner.

En 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de condamnation de l’État à verser 1,6 milliard d’euros pour faute, tout en reconnaissant le principe d’une éventuelle indemnité de résiliation couvrant les dépenses réellement exposées et un manque à gagner à déterminer. Le montant précis, qui devra tenir compte des résultats positifs accumulés par AGO et d’un éventuel rôle futur de Vinci dans la nouvelle concession, reste à fixer, ce qui alimente l’incertitude budgétaire autour du « coût réel » de l’abandon de NDDL.

Bruit, couvre-feu et pression des élus pour une vraie régulation du trafic

Pour répondre aux inquiétudes des riverains, l’État a instauré un dispositif de mesures compensatoires centré sur les nuisances sonores, dont un couvre-feu entre minuit et 6 heures du matin, entré en vigueur au printemps 2022. Ce couvre-feu s’inscrit dans un arsenal plus large incluant un plan de prévention du bruit dans l’environnement (PPBE) et des restrictions sur les avions les plus bruyants entre 22 h et 6 h.

La Cour des comptes relève que le couvre-feu a effectivement réduit les vols de nuit sur la période 2019-2024, mais pointe une application « perfectible », avec 211 infractions relevées en 2024. Elle recommande d’établir un bilan détaillé de ce dispositif et de publier chaque année un état de l’impact des mesures compensatoires sur la trajectoire de réduction du bruit, afin de renforcer la transparence et la crédibilité de la régulation sonore.

Du côté des collectivités, la pression monte pour dépasser la seule logique de compensations. Plusieurs élus locaux plaident pour un plafonnement du trafic ou une limitation stricte du nombre de mouvements annuels, arguant que la seule solution durable, compte tenu de la localisation de la plateforme, réside dans une régulation du volume d’activité.

Une proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale prévoit notamment de borner le trafic de Nantes-Atlantique à 56 000 mouvements par an et de renforcer le couvre-feu, en élargissant sa plage horaire afin de mieux prendre en compte les impacts sanitaires des nuisances sonores. La maire de Nantes et présidente de la métropole insiste, dans ce contexte, sur la nécessité de faire de la « trajectoire de réduction des nuisances sonores » un critère prioritaire de sélection du futur concessionnaire, au même niveau que les aspects économiques et opérationnels.

Un trafic en hausse, un réaménagement introuvable

Sur le plan du trafic, Nantes-Atlantique demeure l’une des plateformes régionales les plus dynamiques de France, portée par un mix de vols domestiques et européens, avec une forte présence des low-cost et une fonction de porte d’entrée du grand Ouest. Cette croissance structurelle se heurte à une infrastructure saturée, dimensionnée pour des volumes inférieurs à ceux observés aujourd’hui et sans perspective claire de montée en capacité avant la fin de la décennie.

Les premiers scénarios de réaménagement prévoyaient une capacité cible de l’ordre de 10 à 11 millions de passagers à l’horizon 2040, pour un investissement estimé à environ 500 millions d’euros en 2019, mais ces hypothèses devront être actualisées au regard de l’inflation, des nouvelles exigences environnementales et des arbitrages sur le trafic. La Cour appelle l’État à clarifier rapidement le calendrier d’attribution de la concession, condition préalable à une trajectoire lisible pour les compagnies aériennes, les riverains et les acteurs économiques du territoire.

Sur le front foncier, la gestion des 1 425 hectares initialement réservés au projet de Notre-Dame-des-Landes apparaît globalement stabilisée. L’État a rétrocédé la plupart des terrains au département de Loire-Atlantique, dans le cadre d’un projet agricole et environnemental visant à promouvoir une agriculture performante et durable, via des baux ruraux assortis de clauses environnementales.

Trois recommandations pour la suite

Au terme de son enquête, la Cour des comptes formule trois recommandations pour sortir d’une gestion au coup par coup. Elle préconise de dresser un bilan détaillé du couvre-feu, de publier chaque année un rapport sur l’impact des mesures compensatoires sonores, et de garantir que les occupations de l’ex-emprise de NDDL restent compatibles avec les objectifs du projet agricole et environnemental.

NDDL abandonné, Nantes-Atlantique saturé : un aéroport pris au piège des contentieux, rapporte la Cour des Comptes 1 Air Journal

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