Alors que la pandémie de Covid-19 a provoqué de la part des gouvernements des annonces d’aides massives pour les compagnies aériennes, rares semblent être ceux qui s’occupent du sort des pilotes, hôtesses de l’air et stewards travaillant avec un contrat précaire.

En Europe, près d’un pilote sur cinq est sous contrat précaire, travaillant par le biais d’une agence de travail temporaire, en tant que soi-disant travailleur indépendant ou avec un contrat zéro-heure sans salaire minimum garanti (pas de vol = pas de salaire), et sans accès aux protections et droits dont jouissent les employés directs. Si le chômage partiel est un recours heureusement disponible pour de nombreux salariés de l’aérien, ces contrats précaires ou non typiques du personnel navigant ne semblent pas attirer beaucoup d’attention, alors que des milliers d’entre eux ont perdu leur travail en Europe depuis le début de la crise sanitaire.

Quand la low cost Norwegian Air Shuttle a annoncé la semaine dernière la faillite de quatre de ses filiales, cela concernait des agences d’emploi : Norwegian Pilot Services Sweden AB en Suède, et Norwegian Pilot Services Denmark ApS, Norwegian Cabin Services Denmark ApS et Norwegian Air Resources Denmark LH ApS au Danemark ; « en raison de la situation extraordinaire (force majeure) », la compagnie a également signifié à OSM Aviation l’annulation des accords de fourniture d’équipage dans plusieurs filiales détenues conjointement. Pour un total de 1570 pilotes et 3130 PNC se retrouvant sans travail dans les deux pays mais également en Finlande, en Espagne, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. Ces agences « constituent une configuration pratique pour maintenir l’équipage à distance de la compagnie aérienne », souligne ECA (European Cockpit Association) qui représente quelque 40.000 pilotes sur le continent. La compagnie peut alors « profiter d’une productivité maximale de l’équipage, sans aucune responsabilité, et tous les risques sont encourus par le personnel navigant ».

ECA cite aussi le cas de CAE Crewing Services, qui a informé ses équipages basés en Espagne et opérant pour le compte de SAS Ireland du lancement d’un processus de licenciement collectif. Ou celui de la low cost Wizz Air annonçant une réduction de 20% de ses effectifs (et une baisse de 14% des salaires des employés « de première ligne »). Avec parmi les critères de licenciement des pilotes leur « volonté de travailler les jours de repos », leur « historique d’absences » ou leur « coopération avec l’entreprise », tandis que le CEO « se vantait des confortables réserves de trésorerie » de la compagnie 

Plus inquiétant encore selon l’association, cela « affectera de manière disproportionnée » les jeunes pilotes : selon une étude, 40% des pilotes de 20 à 30 ans en Europe « n’ont pas de relation de travail directe avec la compagnie aérienne pour laquelle ils travaillent ». Et pour aggraver les choses, beaucoup de ces jeunes pilotes « remboursent toujours des prêts étudiants à six chiffres de leur formation de pilote », et vivent de chèque en chèque.

Certaines compagnies aériennes « ont bâti leur empire sur le dos d’équipages ‘indépendants’, d’auto-entrepreneurs ou de travailleurs intérimaires, évitant ainsi de payer des cotisations de sécurité sociale et transférant tous les risques financiers et l’incertitude sur les individus », souligne le Secrétaire général d’ECA Philip von Schöppenthau. « Maintenant, nous voyons le résultat de ceci : des milliers de pilotes sont renvoyés chez eux sans le soutien accordé aux autres employés, sans aucune perspective de travail et beaucoup sans aucun revenu. Ces employeurs impitoyables ont laissé à l’écart les gens qui portaient leurs uniformes depuis des années, ceux qui font partie du cœur et de l’âme des compagnies aériennes, tandis que le reste de la société et des entreprises se rassemblent » contre la pandémie.

L’emploi atypique dans l’aviation « n’est qu’un écran de fumée pour un emploi régulier sans tenir compte des responsabilités qui y sont attachées », ajoute le président d’ECA Jon Horne. « Nous avons souvent averti que ces montages d’agences de courtage et ces faux schémas d’emploi indépendant créent un bassin de travailleurs ‘jetables’ avec des droits réduits et sans accès aux lois du travail. La crise du COVID-19 a tué le dernier argument selon lequel le modèle de l’entrepreneur pourrait être en quelque sorte bon pour les travailleurs. Il n’y a rien de bon à ne pas avoir de revenu, pas de sécurité d’emploi, pas de droit au travail. Pas en temps normal, encore moins pendant une pandémie ».

ECA : la précarité des navigants au grand jour 1 Air Journal