La Commission européenne a présenté hier un plan ambitieux pour « transformer l’économie et la société européennes » afin de concrétiser les ambitions climatiques de l’UE, appelé « Fit for 55 » (paré pour 55) et passant en ce qui concerne le transport aérien par une taxation du kérosène. Au grand dam de l’IATA, mais plutôt bien accueilli par les associations européennes du secteur.

Il faudra sans doute attendre la fin de l’année prochaine pour les voir entrer en application (après des négociations sans nul doute acharnées vu l’opposition déjà affichée par certains pays), les propositions étant soumises à une transposition par les organes législatifs de chacun des 27 membres de l’Union européenne et à la validation par le Parlement européen. Mais l’objectif est clairement affiché : réduire ses émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55% à l’horizon 2030 par rapport aux niveaux de 1990, et atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. Pour l’aviation, cela passerait par une taxation du kérosène pour les vols à l’intérieur de l’UE, qui en étaient jusque là épargnés afin d’éviter la concurrence entre les nations. La taxe épargnerait l’aviation d’affaires et le transport de fret, et serait mise en place progressivement sur dix ans ; dans le même temps, l’objectif minimal d’usage de biocarburants dans les avions serait relevé, et les « permis à polluer » gratuits dont bénéficie le secteur disparaîtraient dès 2026.

Les carburants d’aviation et les combustibles maritimes « sont à l’origine d’une pollution importante et nécessitent aussi des mesures spécifiques, en plus de l’échange de quotas d’émission », rappelle le communiqué de la Commission. Le règlement sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs « exige que les aéronefs et les navires puissent s’alimenter en électricité propre dans les principaux ports et aéroports ». L’initiative «ReFuelEU Aviation» obligera les fournisseurs de carburants à accroître la part des carburants d’aviation durables dans les carburéacteurs embarqués dans les aéroports de l’Union, « y compris les carburants de synthèse («e-fuels») à faible teneur en carbone ». De la même manière, l’initiative «FuelEU Maritime» encouragera l’utilisation de combustibles maritimes durables et de technologies à émissions nulles en imposant une limite maximale à la teneur en gaz à effet de serre de l’énergie utilisée par les navires faisant escale dans les ports européens.

Selon la Commission, le système de taxation des produits énergétiques doit également « préserver et améliorer le marché unique et soutenir la transition écologique en proposant les incitations appropriées ». Une révision de la directive sur la taxation de l’énergie propose d’aligner la taxation des produits énergétiques sur les politiques de l’Union en matière d’énergie et de climat, en promouvant des technologies propres et en supprimant les exonérations obsolètes et les taux réduits « qui encouragent actuellement l’utilisation de combustibles fossiles ». Les nouvelles règles visent à « réduire les effets néfastes de la concurrence fiscale en matière d’énergie », en contribuant à garantir aux États membres des recettes provenant des taxes «vertes», qui sont moins préjudiciables à la croissance que la fiscalité sur le travail, souligne son communiqué.

Adina Vălean, commissaire européenne chargée des transports, a déclaré : « avec les trois initiatives spécifiques aux transports — ReFuel Aviation, FuelEU Maritime et le règlement sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs —, nous aiderons le secteur des transports à se transformer en un système à l’épreuve du temps. Nous créerons un marché pour les carburants de substitution durables et les technologies à faibles émissions de carbone, tout en mettant en place les infrastructures appropriées pour garantir l’adoption généralisée de véhicules et de navires à émissions nulles. Ce train de mesures nous amènera au-delà des mesures de visant à rendre la mobilité et la logistique plus vertes. C’est l’occasion de faire de l’Union un marché d’avant-garde en matière de technologies de pointe

Il est « essentiel » de réduire les émissions dans cette proportion au cours de la prochaine décennie pour que l’Europe soit le premier continent à parvenir à la neutralité climatique d’ici à 2050 et faire du Pacte vert pour l’Europe une réalité ». La Commission explique que les propositions présentées hier sont interdépendantes, et contribueront à imprimer l’accélération nécessaire aux réductions des émissions de gaz à effet de serre au cours de la prochaine décennie. Ces propositions combinent « l’application de l’échange de droits d’émission à de nouveaux secteurs et un renforcement du système actuel d’échange de quotas d’émission de l’Union; un recours accru aux énergies renouvelables; une amélioration de l’efficacité énergétique; un déploiement plus rapide de modes de transport à faibles émissions et des politiques connexes en matière d’infrastructures et de carburants; une mise en adéquation des politiques fiscales et des objectifs du Pacte vert pour l’Europe; des mesures visant à prévenir la fuite de carbone; et des outils destinés à préserver et étendre la capacité de nos puits de carbone naturels ».

Pacte vert : taxation du carburant d’aviation, quel impact pour les compagnies ? 1 Air Journal

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Pour ACI Europe, ce paquet législatif « Fit for 55 » est aligné sur l’objectif propre du secteur aérien d’atteindre zéro émission nette de CO2 d’ici 2050 pour tous les vols à l’intérieur de et quittant l’Europe. Afin de « soutenir l’initiative de la Commission », elle et les associations Compagnies aériennes pour l’Europe (A4E), Association des compagnies aériennes régionales européennes (ERA), Organisation des services de navigation aérienne civile (CANSO) et Association des fabricants aérospatiale et défense (ASD), ont proposé l’élaboration d’un Pacte de l’UE pour une aviation durable – une feuille de route commune pour l’industrie et les décideurs politiques afin d’aligner leurs actions sur la réalisation des objectifs climatiques 2030 et 2050. Ce Pacte  piloté par la Commission européenne définirait « une vision partagée, des objectifs ambitieux communs et des principes de haut niveau » pour une action commune de l’aviation et des décideurs. L’initiative Destination 2050, lancée en février, montre comment une combinaison de mesures peuvent être utilisées pour atteindre zéro émission nette de CO2 provenant de l’aviation d’ici 2050, à travers quatre piliers : améliorations des technologies aéronautiques et moteurs ; accélération de la production et de l’utilisation de carburants d’aviation durables (SAF) ; mise en œuvre de mesures économiques intelligentes ; améliorations de la gestion du trafic aérien (ATM) et des opérations aériennes.

« L’aviation européenne soutient les ambitions climatiques de la Commission et Destination 2050 est contribution de notre secteur à leur mise en œuvre – mais la feuille de route montre clairement que nous ne pouvons pas le faire seuls. Réaliser notre ambition et atteindre un net zéro européen l’aviation a besoin de cadres politiques, réglementaires et financiers pleinement alignés et favorables – tant au niveau européen qu’au niveau national. C’est pourquoi nous appelons la Commission européenne à soutenir et diriger l’élaboration d’un Pacte de l’UE pour une aviation durable afin de faire avancer ces propositions. Nous sommes prêts à nous engager avec la Commission européenne pour définir un tel Pacte et d’avoir des échanges réguliers pour assurer sa mise en œuvre », souligne un communiqué des cinq associations.

Le ton n’est pas le même de la part de l’IATA, représentant 290 compagnies aériennes du monde entier : selon l’Association du transport aérien international, le recours à la fiscalité comme solution pour réduire les émissions de l’aviation « est contre-productif par rapport à l’objectif d’une aviation durable. La politique de l’UE doit soutenir des mesures concrètes de réduction des émissions telles que des incitations pour des carburants d’aviation durables (SAF) et la modernisation de la gestion du trafic aérien ». L’aviation est « engagée dans la décarbonation en tant qu’industrie mondiale. Nous n’avons pas besoin de mesures persuasives ou punitives comme des impôts pour motiver le changement. En fait, les taxes siphonnent l’argent de l’industrie qui pourrait soutenir les investissements de réduction des émissions dans le renouvellement de la flotte et les technologies propres. Pour réduire les émissions, nous avons besoin que les gouvernements mettent en œuvre un cadre politique constructif qui, dans l’immédiat, se concentre sur les incitations à la production pour la SAF et la réalisation du ciel unique européen », a déclaré Willie Walsh, directeur général de l’IATA.

L’association met en avant les carburants d’aviation durables « qui réduisent les émissions jusqu’à 80% par rapport au carburéacteur traditionnel » (un thème clairement cité dans le plan « Fit for 55 ») : selon elle, une offre insuffisante et des prix élevés « ont limité l’utilisation des compagnies aériennes à 120 millions de litres en 2021, une petite fraction des 350 milliards de litres que les compagnies aériennes consommeraient dans une année normale ». Pour les « mesures fondées sur le marché pour gérer les émissions », l’IATA rappelle qu’elle soutient le programme de compensation et de réduction des émissions de carbone pour l’aviation internationale (CORSIA) en tant que mesure mondiale pour l’ensemble de l’aviation internationale. Cela évite de créer « une mosaïque de mesures nationales ou régionales non coordonnées » telles que le système d’échange de quotas d’émission de l’UE, qui peuvent « saper la coopération internationale et se chevaucher, « pouvant conduire à payer plusieurs fois les mêmes émissions ». L’IATA se dit d’ailleurs « extrêmement préoccupée par la proposition de la Commission selon laquelle les États européens n’appliqueraient plus CORSIA sur tous les vols internationaux ».

Le Ciel unique européen pourrait réduire les émissions inutiles dues à la gestion fragmentée du trafic aérien (ATM) « et aux inefficacités qui en résultent », rappelle aussi l’association : la modernisation de l’ATM européen « réduirait les émissions de l’aviation en Europe entre 6 et 10%, mais les gouvernements nationaux continuent de retarder la mise en œuvre ». Enfin « bien qu’il soit peu probable que la propulsion électrique ou à hydrogène puisse avoir un impact significatif sur les émissions de l’aviation d’ici 2030, le développement de ces technologies est en cours « et doit être soutenu ».

« La vision à court terme de l’aviation est de fournir un transport aérien durable et abordable à tous les citoyens européens avec des flottes alimentées par SAF, fonctionnant avec une gestion efficace du trafic aérien. Nous devrions tous nous inquiéter du fait que la grande idée de l’UE de décarboner l’aviation ne rende le carburéacteur plus cher par le biais des taxes. Cela ne nous mènera pas là où nous devons être. La fiscalité va détruire des emplois. L’incitation à la SAF améliorera l’indépendance énergétique et créera des emplois durables. L’accent doit être mis sur l’encouragement de la production de SAF et la réalisation du ciel unique européen », a souligné Willie Walsh.

Le pacte vert pour l’Europe présenté par la Commission le 11 décembre 2019 fixe l’objectif de faire de l’Europe le premier continent à parvenir à la neutralité climatique d’ici à 2050. La loi européenne sur le climat, qui entre en vigueur ce mois-ci, consacre dans une législation contraignante l’engagement de l’Union en faveur de la neutralité climatique et l’objectif intermédiaire consistant à réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990.L’engagement pris par l’Union de réduire ses émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici à 2030 a été communiqué à la CCNUCC en décembre 2020 en tant que contribution de l’Union à la réalisation des objectifs de l’accord de Paris. La législation actuelle de l’Union en matière de climat et d’énergie a déjà permis de faire diminuer les émissions de gaz à effet de serre de l’Union de 24 % par rapport à 1990, alors que l’économie de l’Union a enregistré une croissance d’environ 60 % au cours de la même période, témoignant ainsi de la dissociation entre croissance et émissions. Ce cadre législatif testé et éprouvé constitue le fondement de ce paquet législatif.

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a résumé : « la consommation de combustibles fossiles a atteint ses limites. Nous voulons laisser à la prochaine génération une planète en bon état ainsi que des emplois de qualité et une croissance qui ne nuisent pas à la nature qui nous entoure. L’Europe a été le premier continent à déclarer qu’il parviendrait à la neutralité climatique en 2050, et nous sommes à présent les premiers à présenter une feuille de route concrète. L’Europe montre l’exemple en termes de politiques climatiques par ses décisions en matière d’innovation, d’investissement et de compensation sociale ».

Pour le vice-président exécutif chargé du Pacte vert pour l’Europe, Frans Timmermans, « c’est la décennie où tout va se jouer en matière de lutte contre les crises climatiques et la perte de biodiversité. L’Union européenne s’est fixé des objectifs ambitieux, et nous exposons aujourd’hui la manière dont nous pouvons les atteindre. Pour offrir à tous un avenir écologique et sain, il faudra que tous les secteurs et tous les États membres consentent des efforts considérables. Ensemble, nos propositions déclencheront les changements nécessaires, permettront à tous les citoyens de profiter le plus rapidement possible des bénéfices de l’action pour le climat et apporteront un soutien aux ménages les plus vulnérables. La transition opérée par l’Europe sera équitable, verte et compétitive ».

Pacte vert : taxation du carburant d’aviation, quel impact pour les compagnies ? 2 Air Journal

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