Le plus gros choc pour le secteur aérien depuis la Seconde Guerre mondiale : l’IATA estime pour l’année 2020 les pertes globales à 157 milliards de dollars, contre 84 milliards estimés en juin dernier. Les compagnies aériennes devraient accueillir seulement 1,8 milliard de passagers contre 4,5 milliard en 2020 – un niveau pas vu depuis 2003. Et la situation ne devrait s’améliorer que lentement en 2021.

Tenue virtuellement pour cause de pandémie de Covid-19, la 76eme assemblée générale de l’Association du transport aérien international (IATA) a présenté le 24 novembre 2020 des prévisions encore plus sombres que prévu, « même si les choses devraient s’améliorer » l’année prochaine. Evoquant pour l’industrie du transport aérien un « défi pour sa survie même », l’association souligne que les compagnies aériennes ont réduit leurs coûts de 365 milliards de dollars (de 795 en 2019 à 430 cette année), mais ont vu leurs revenus reculer bien plus massivement – de 838 à 328 milliards de dollars.

Tous les principaux paramètres opérationnels de l’activité passagers étaient négatifs, souligne l’IATA : le nombre de passagers devrait chuter à 1,8 milliard (60,5% de moins que les 4,5 milliards de passagers en 2019), soit « à peu près le même chiffre que celui de l’industrie en 2003 ». Les revenus passagers devraient reculer à 191 milliards de dollars, moins d’un tiers des 612 milliards de dollars gagnés en 2019. Cela s’explique « en grande partie par une baisse de 66% de la demande de passagers ». Les marchés internationaux ont été touchés « de manière disproportionnée » avec une baisse de 75% de la demande. Les marchés intérieurs, « largement propulsés par une reprise en Chine et en Russie », devraient mieux se maintenir et terminer 2020 à 49% sous les niveaux de 2019.

Une autre faiblesse est démontrée par les rendements passagers qui devraient baisser de 8% par rapport à 2019, et un faible coefficient d’occupation des passagers qui devrait être de 65,5%, en baisse par rapport aux 82,5% enregistrés en 2019 (« un niveau observé pour la dernière fois en 1993 »).

Les paramètres opérationnels pour le fret fonctionnent nettement mieux, note l’IATA, mais sont toujours « déprimés » par rapport à 2019 : le trafic devrait être de 54,2 millions de tonnes en 2020, contre 61,3 millions de tonnes en 2019. Les revenus du fret vont « à l’encontre de la tendance », progressant par rapport à l’année dernière de 102,4 à 117,7 milliards de dollars. Une baisse de 45% de la capacité globale, due en grande partie « à la chute brutale de la demande de passagers qui a réduit la capacité en soute critique pour le fret (-24%) », fait grimper les rendements de 30% en 2020. En 2019, le fret représentait 12% du chiffre d’affaires du transport aérien ; il devrait atteindre 36% en 2020.

En Europe en particulier, où les compagnies aériennes dépendent dans une large mesure des revenus du marché international, l’IATA estime pour 2020 la chute de la demande de 70% et celle des capacités de 51,6%, avec à la clé une perte de 26,9 milliards de dollars pour le Vieux continent.

« Les livres d’histoire enregistreront 2020 comme la pire année financière de l’industrie, sans exception. Les compagnies aériennes ont réduit leurs dépenses en moyenne d’un milliard de dollars par jour en 2020 et continueront d’accumuler des pertes sans précédent. Sans le soutien financier de 173 milliards de dollars des gouvernements, nous aurions vu des faillites à grande échelle », a déclaré Alexandre de Juniac, PDG sortant de l’IATA.

IATA : 157 milliards de dollars et 60% des passagers perdus en 2020 1 Air Journal

©IATA

Pour 2021 aussi, les prévisions de l’IATA ont été revues à la baisse, avec une perte globale attendue de 38,7 milliards de dollars – le pire résultat de l’industrie après celui de cette année. La performance financière des compagnies aériennes « devrait connaître une amélioration significative » même si des pertes historiquement importantes prévalent. En supposant qu’il y ait une certaine ouverture des frontières d’ici la mi-2021 (soit par des tests, soit par une disponibilité croissante d’un vaccin), les revenus globaux devraient atteindre 459 milliards de dollars (amélioration de 131 milliards de dollars par rapport à 2020, mais toujours 45% en dessous des 838 milliards de dollars réalisés en 2019). En comparaison, les coûts ne devraient augmenter que de 61 milliards de dollars, ce qui améliorera globalement la performance financière ; mais les compagnies aériennes perdront 13,78 dollars pour chaque passager transporté. D’ici la fin de 2021, des revenus plus élevés amélioreront la situation, mais le premier semestre de l’année prochaine « semble toujours extrêmement difficile ».

Toujours dans la même hypothèse de levée progressive des restrictions de voyage d’ici la mi-2021, le nombre de passagers devrait atteindre 2,8 milliards l’année prochaine. Cela représenterait un milliard de voyageurs de plus qu’en 2020, mais encore 1,7 milliard de voyageurs en deçà des performances de l’année dernière. Les rendements passagers devraient rester stables et le coefficient de remplissage devrait s’améliorer à 72,7% (une amélioration par rapport aux 65,5% attendus pour 2020, mais toujours bien en deçà des 82,5% atteints en 2019).

L’IATA s’attend à ce que le côté fret de l’activité se poursuive « avec de solides performances ». L’amélioration de la confiance des entreprises et le rôle important que le fret aérien devrait jouer dans la distribution des vaccins devraient entraîner une augmentation des volumes de fret à 61,2 millions de tonnes (contre 54,2 millions de tonnes en 2020 et correspondant quasiment aux 61,3 millions de tonnes transportées en 2019). Un resserrement continu de la capacité « en raison de la lente réintroduction de la capacité en soute », combinée à une proportion plus élevée de marchandises sensibles au temps et à la température (vaccins), entraînera une augmentation supplémentaire de 5% des rendements. Cela contribuera à une solide performance des revenus du fret, qui devraient atteindre un sommet historique de 139,8 milliards de dollars.

Plusieurs défis critiques nécessitent une attention urgente

Niveaux d’endettement et soutien financier : les compagnies aériennes survivent grâce au soutien financier des gouvernements. « Même après 173 milliards de dollars de soutien gouvernemental de divers types en 2020, la compagnie aérienne médiane ne dispose que de 8,5 mois de liquidités pour survivre » selon l’IATA. « Beaucoup en ont beaucoup moins au moment où l’industrie entre dans la période hivernale critique, caractérisée par une faible demande, même en temps normal ». Alors que la consommation de trésorerie a diminué depuis le pic de la crise, les compagnies aériennes devraient encore brûler en moyenne 6,8 milliards de dollars / mois au cours du premier semestre 2021, avant que le secteur ne devienne positif au quatrième trimestre de 2021.

« Les dommages financiers de cette crise sont graves. Le soutien du gouvernement a maintenu les compagnies aériennes en vie jusqu’à présent. Il faudra probablement davantage, car la crise dure plus longtemps que quiconque n’aurait pu le prévoir. Et cela doit prendre des formes qui n’augmentent pas le fardeau de la dette déjà élevé, qui est passé à 651 milliards de dollars. Faire le pont entre les compagnies aériennes et la reprise est l’un des investissements les plus importants que les gouvernements puissent faire. Cela permettra de sauver des emplois et de relancer la reprise dans le secteur des voyages et du tourisme, qui représente 10% du PIB mondial », a déclaré Alexandre de Juniac.

Frontières fermées / quarantaine : les principaux facteurs qui entravent la reprise de l’industrie sont les restrictions de voyage et les mesures de quarantaine, qui empêchent effectivement une reprise significative des voyages. Pour l’association, la solution « la plus immédiate et la plus critique » est la réouverture en toute sécurité des frontières à l’aide de tests COVID-19 systématiques. À plus long terme, la disponibilité généralisée des vaccins contre la COVID-19 devrait permettre aux frontières de rester ouvertes sans tests ni restrictions, mais le calendrier de disponibilité des vaccins est incertain.

« Nous avons la capacité de rouvrir les voyages en toute sécurité grâce à des tests systématiques. Nous ne pouvons pas attendre la promesse d’un vaccin. Nous nous préparons à une distribution efficace des vaccins. Mais les tests sont la solution immédiate pour rouvrir de manière significative les voyages aériens. Avec 46 millions d’emplois menacés dans le seul secteur des voyages et du tourisme en raison de la chute du transport aérien, nous devons agir rapidement avec les solutions à portée de main. Nous avons des tests rapides, précis et évolutifs qui peuvent faire le travail en toute sécurité. Les compagnies aériennes sont prêtes. Les moyens de subsistance de millions de personnes sont entre les mains des gouvernements et des autorités de santé publique. Les gouvernements ont compris l’importance d’un secteur du transport aérien viable lorsqu’ils ont investi des milliards pour le maintenir à flot. Maintenant, ils doivent protéger ces investissements en donnant aux compagnies aériennes les moyens de faire des affaires en toute sécurité », a ajouté le PDG.

Confiance : « les chiffres ne pourraient pas être bien pires. Mais il y a une voie à suivre. Avec le soutien financier continu des gouvernements pour maintenir la viabilité financière des compagnies aériennes et l’utilisation de tests pour permettre des voyages sans quarantaine, nous avons un plan pour surmonter le pire immédiatement. Et à plus long terme, les progrès en matière de vaccins sont encourageants. Plus important encore, les gens n’ont pas perdu leur désir de voyager. La réponse du marché à des mesures, même modestes, pour lever la quarantaine est immédiate et forte. Là où les barrières ont été supprimées, les voyages ont rebondi. La soif de liberté de voler n’a pas été vaincue par la crise. Il y a toutes les raisons d’être optimiste lorsque les gouvernements utilisent les tests pour ouvrir les frontières. Et nous devons faire en sorte que cela se produise rapidement », a conclu Alexandre de Juniac.

IATA : 157 milliards de dollars et 60% des passagers perdus en 2020 2 Air Journal

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