Pour empêcher des voyagistes en ligne de vendre ses billets et garder l’exclusivité de la distribution, Ryanair ne recule devant aucun moyen, juridique, administratif et aussi numérique.

La guerre commerciale menée par Ryanair contre des voyagistes qui vendent ses billets sans son accord dure depuis des années. De nombreuses OTA  (Online Travel Agency, agences de voyages en ligne) proposent aux internautes des billets de la low cost irlandaise sans avoir passé d’accord commercial. Pour ce faire, ces agences du Net font appel à la pratique de la capture d’écran de page web alias Web scraping (ou encore Web harvesting) qui consiste à copier, via un logiciel, les contenus du site de Ryanair pour l’afficher sur leur propre site. Ensuite, ces agences internet commandent les billets pour leurs clients auprès de voyagistes partenaires accrédités ou ayant accès légalement aux billets de Ryanair.

Contre ces OTA, Ryanair a porté plainte, avec des jugements nationaux parfois favorables, parfois défavorables selon la jurisprudence des différents pays européens. Aussi, pour démotiver les passagers à prendre leurs billets Ryanair ailleurs que sur son site, la low cost n’hésite pas à leur compliquer la vie, voire à collecter sur elles des informations sensibles.

De manière stupéfiante, par exemple, à des passagers sud-africains en partance pour Londres, elle a fait passer un test linguistique de l’afrikaner, la langue locale parlée par une partie de la communauté blanche. Elle a expliqué que c’était pour filtrer des migrants qui se faisaient passer pour des sud-africains. A la suite de la crise du Covid, elle a exigé de pouvoir collecter les coordonnées personnelles des clients pour rembourser les billets non-volés, au lieu de se contenter du mail fourni à la commande. Et à ceux qu’elle a remboursés, elle a banni ensuite leurs cartes de paiement. En Grande-Bretagne, des passagers ayant obtenu un remboursement n’ont pas pu ensuite réserver un nouveau vol avec la même carte de paiement sur laquelle ils ont reçu leur remboursement. Ces passagers ont du utiliser une autre carte pour régler une nouvelle réservation sur Ryanair.

Dernier fait en date, Ryanair utilise des outils de reconnaissance faciale pour valider ou invalider les clients qu’elle suspecte avoir réservé via une agence de voyages en ligne. La validation s’effectue en deux étapes : d’abord le passager doit scanner une pièce d’identité pour confirmer sa réservation, puis il doit fournir une nouvelle photo, voire un selfie, pour attester qu’il est bien une personne physique – et pas une personne morale, en l’occurrence une OTA. La reconnaissance faciale compare alors la photo du passeport ou carte nationale d’identité à la photo fournie en temps réel.

Si vous avez réservé en passant par une agence de voyages en ligne, car les OTA utilisent souvent des robots pour compléter le processus de réservation, vous n’avez probablement pas eu la possibilité, lors de la réservation, d’interagir directement avec Ryanair. La procédure de vérification nous permet de nous assurer qu’un passager a pris connaissance d’informations importantes de la part de Ryanair. Et qu’il a effectué l’enregistrement personnellement“, justifie le service clientèle la compagnie à bas coût.

Cerise sur le gâteau, Ryanair facture au passager 35 cents par validation : “Ces frais sont destinés à couvrir le coût de l’outil de vérification en ligne. Ryanair ne tire pas de profit commercial de cette transaction. Si vous souhaitez vous faire rembourser ces frais, nous vous conseillons de contacter l’agence de voyages en ligne pour lui demander de couvrir le coût de cette exigence de sécurité nécessaire“.

Plusieurs voyagistes ayant pignon sur rue et dénigrés par Ryanair nous confirment avoir eu des clients victimes de cette reconnaissance faciale. En plus d’être à la limite de la discrimination, l’outil numérique pose des soucis pour toute une partie de la population (couleur de peau, changement physique, personne non-binaire, etc…). Toutefois, Ryanair n’a pas (encore?) généralisé la pratique à tous les clients.

Une compagnie aérienne a-t-elle le droit d’utiliser la connaissance faciale dans ce but ?La reconnaissance faciale est en principe interdite. Il faut d’abord vérifier si la technologie utilisée est bien de la reconnaissance faciale. Il existe ensuite des exceptions comme le consentement de la personne. Mais encore faut-il que celui-ci soit libre et éclairé“, répond Arnaud Dimeglio, avocat spécialisé en droit des nouvelles technologies (lire ses explications sur village-justice.com).

Outre les services régaliens, la reconnaissance faciale est traditionnellement utilisée par des banques ou les opérateurs qui ont légalement l’obligation de vérifier l’identité de leurs clients (pour l’ouverture d’un compte par exemple). Au sein de l’Union Européenne, la solution doit être soumise au RGPD (Règlement général sur la protection des données).

Premier transporteur européen en nombre de passagers, la low cost irlandaise pourrait filtrer à l’enregistrement ou à l’embarquement à l’aéroport, mais là, le processus est trop chronophage pour la low cost pour qui la moindre minute compte dans l’exploitation de ses appareils et personnels. “ Ryanair ayant son siège en Irlande, c’est l’autorité irlandaise qui doit se saisir du sujet. On connaît les difficultés de cette autorité qui accueille également tous les géants américains des IT [technologie de l’information, ndlr]. Les autorités nationales françaises pourraient se saisir si un grand nombre de plaignants se présentaient mais dans un premier temps ils transmettraient ces plaintes à l’autorité irlandaise “, explique une source bien informée du dossier. 

Mise à jour : questionnée à ce sujet, la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) a rappelé la réglementation :

Si la réglementation applicable au transport aérien peut demander à un transporteur aérien de procéder à certaines vérifications ou collecte de données personnelles (données dites API => DIRECTIVE 2004/82/CE DU CONSEIL du 29 avril 2004), le recours à un service de reconnaissance faciale n’est jamais imposé par la dite réglementation.Il n’appartient pas à la Direction générale de l’Aviation civile (DGAC) de déterminer si un tel procédé de vérification en ligne est illégal en lui-même. Le recours à la reconnaissance faciale s’inscrit dans un cadre juridique qui n’est pas dans le champ de compétence de la DGAC et qui relève de la responsabilité première des opérateurs qui choisissent d’y recourir, après consultation de la CNIL le cas échéant. La DGAC note en tout état de cause que la  compagnie offre une procédure alternative sans frais consistant “à se présenter au comptoir d’enregistrement de l’aéroport le jour du voyage au moins 120 minutes avant le départ “.La DGAC n’a pas connaissance de cas où des passagers se serait vu refuser l’embarquement pour ne pas avoir respecté une telle procédure de vérification. Les passagers peuvent se renseigner sur leurs droits à ce sujet en consultant la page suivante :  https://www.ecologie.gouv.fr/faire-en-cas-retard-au-depart-annulation-dun-vol-refus-dembarquement-ou-declassement

Ryanair : la reconnaissance faciale imposée aux passagers est-elle légale ? 1 Air Journal

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