François Nénin est l’auteur de « Ces avions qui nous font peur », paru aux Editions Flammarion* en avril dernier. Dans cet ouvrage, ce journaliste d’investigation spécialiste du secteur aérien, collaborateur à Marianne et VSD et créateur du site d’informations sur la sécurité aérienne www.securvol.fr, livre une enquête sur les risques de voler en avion. Le constat s’avère plutôt inquiétant avec des pilotes en burn out, la consommation de drogue ou d’alcool chez le personnel navigant, le trafic de pièces de contrefaçon, les avions mal entretenus…
"Une bonne compagnie low cost (...) qui ne rogne pas sur les coûts liés à la sécurité sera meilleure qu’une « major » traditionnelle ou qu’une compagnie charter qui souffrent d’une culture de sécurité des vols défaillante."
Air-journal_francois nenin Air-journal_CesAvionsQuiNousFontPeur   Votre livre s’intitule « Ces avions qui nous font peur ». N’est-ce pas provocateur alors qu’on a coutume d’affirmer dans le milieu que l’avion est le moyen de transport le plus sûr de nos jours ? François Nénin : "Le titre de mon livre évoque l’existence d’une aviation à deux vitesses : il existe fort heureusement encore des compagnies qui érigent la sécurité des vols comme principe fondateur et ne transigent pas avec ce pacte de confiance noué entre elles et les passagers. Mais une autre partie du transport aérien, en crise, est traversée par des pratiques visant à réduire des coûts qui sont normalement incompressibles, comme la maintenance, le repos des équipages, la formation et l’entraînement. Les compagnies low cost ont introduit une culture de la réduction des coûts que toutes les compagnies veulent maintenant imiter en créant leur filiale low cost mais en feignant d’oublier que le transport aérien coûte cher. Par ailleurs, les lobbies de l’aérien nous manipulent en avançant des statistiques faussées – qui par exemple omettent les nombreux accidents d’avions de conception soviétique - et en oubliant de dire que l’avion est le moyen de transport le plus sur, mais  à égalité avec le train." Oui. Mais n’y a-t-il pas de moins en moins d’accidents d’avion, notamment en Europe ? Et pour le reste du monde, nous avons la liste noire européenne, c’est-à-dire de toutes les compagnies aériennes interdites dans l’Union Européenne, non ? F. N. : "Soyons clairs : il y a environ 90 accidents d’avion (destruction de coque) par an. Ce n’est pas négligeable pour un secteur que l’on présente comme étant si sûr ! Cela représente tout de même deux crashs par semaine. La liste noire a le mérite d’exister en dépit de son aspect « passoire ». Elle n’interdit que les compagnies ayant demandé des droits de trafics à l’Europe. Or, il existe les compagnies de bouts de ligne, celles qui ne se posent jamais sur les aéroports européens mais que tout touriste européen peut néanmoins emprunter depuis son lieu de destination, et sans savoir qu’elle est dangereuse. Lorsqu’on a demandé au président de la compagnie indonésienne Lion Air qui a récemment acheté 234 Airbus ce qu’il pensait de l’inscription de sa compagnie  sur la liste noire, il  a répondu : « je m’en fiche ». Cela en dit long sur le mépris de certaines compagnies pour les instances de contrôle. Par ailleurs il est évident que certaines compagnies ont parfois usé de chantage à la vente d’Airbus pour ne pas figurer sur cette liste jugée infamante." Quelles sont les régions les plus risquées pour y prendre l’avion ? F. N. : "Selon les continents, nous ne sommes pas tous égaux devant l’insécurité aérienne. L’organisation internationale de l’aviation civile (OACI) effectue des constatations et  relèvent des infractions. Cette approche régionale est pertinente car, plus que les compagnies elles-mêmes, ce sont les autorités de contrôle des pays qui, selon leur degré d’organisation et de capacité à surveiller leurs compagnies, sont des excellents indicateurs. La moyenne mondiale est de 1,56. L’Afrique occidentale et centrale enregistre un taux de 3,48 (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Cap-Vert, Congo, etc).  L’Afrique orientale et australe elle, est à 2,96 (Afrique du Sud, Angola, Botswana, Burundi, Comores, Djibouti, etc.) l’Amérique du Sud n’est pas loin derrière avec 2,28 et nous avons ensuite le Moyen-Orient avec 2,13 (Afghanistan, Arabie Saoudite, Bahreïn, Chypre, Égypte, Émirats arabes unis, Iran, etc.). Il n’y a pas d’indicateur connu pour les pays de l’ex bloc soviétique mais on sait que cette aviation obsolète utilisant des avions qui ne bénéficient pas des apports de la technologique moderne enregistre beaucoup d’accidents." Les compagnies low cost sont-elles moins fiables que les compagnies traditionnelles ? F. N. : "Une bonne compagnie low cost qui appuie son modèle économique sur un seul type d’avions, sur l’optimisation des taux de remplissage et sur les services payants à bord, mais qui ne rogne pas sur les coûts liés à la sécurité sera meilleure qu’une « major » traditionnelle ou qu’une compagnie charter qui souffrent d’une culture de sécurité des vols défaillante." Et Ryanair ? Un syndicat anonyme de ses pilotes nommé Ryanair Pilot Guild (RPG) dénonce des méthodes de management au détriment de la sécurité des vols. Pourtant, Ryanair n’a encore eu aucun accident notable en 29 ans de carrière, comme aime à le rappeler sa direction… Cette compagnie présente-t-elle un risque sécuritaire ? F. N. : "Clairement oui Depuis 2005, une pratique dangereuse est dénoncée par des organisations professionnelles. Cela fait plusieurs années que Ryanair joue avec le feu, à partir d’un principe simple « emporter moins de kérosène pour être moins lourd et donc… consommer moins ». Et cela en toute légalité…Chez Ryanair, il y a une “fuel league”, c’est un truc très pernicieux. Un peu comme les entreprises, américaines qui sanctifient “l’employé du mois”, la “fuel league” est publiée chaque mois sur Internet : elle met en avant le commandant de bord qui a emporté le moins de carburant sur le mois. Inversement, celui qui a emporté le plus est montré du doigt. ». il n’y a pas d’accident mais des incidents, oui.  Le 21 mars 2008, un Boeing 737-800, en provenance de Charleroi (Belgique), s’est posé dans des conditions météorologiques rendues difficiles par les rafales de vent et la pluie. Pour des raisons indéterminées, les pilotes n’ont pas réussi à s’arrêter en bout de piste, leur avion allant s’embourber sur quelques mètres dans les champs. Ce jour-là, les pilotes ont-ils posé l’avion coûte que coûte, au plus vite, parce qu’ils n’avaient plus de réserves pour se dérouter ou pour se mettre sur un circuit d’attente pour de meilleures conditions ? Le doute est permis !" La compagnie Air France a connu plusieurs incidents à répétition ces dernières années, avec pour ne parler que des plus graves, celui du crash du Concorde en 2000, celui du vol Rio-Paris en 2009 ou encore l’A340-300 qui a pris feu après une sortie de piste en août 2005 sur l’aéroport international Pearson de Toronto au Canada. Que penser aujourd’hui de la sécurité des vols au sein de la compagnie française ? Etait-elle déficiente plus qu’au sein d’autres compagnies aériennes ? Est-elle aujourd’hui en progrès ? F. N. : "Les statistiques parlent d’elles même : 22 crashs depuis 1950 ayant occasionné la mort de 1 250 personnes, le site planecrashinfo.com place en Europe Air France à la 22e place pour la sécurité des vols sur 24, juste avant Turkish Airlines et Aeroflot. Air France traverse une crise touchant la sécurité des vols qu’elle s’est engagée à résoudre. La compagnie est aussi concernée par des incidents aberrants, des crashs évités de justesse qui sont la résultante d’un vrai problème de compétence de certains pilotes, et de déviance comme le note un rapport de janvier 2011, mais aussi de commandement fort à la tête de la compagnie, dans laquelle il règne une forme d’ impunité. Il faut réagir, la compagnie ne survivrait pas à un nouvel accident !" Vous parlez aussi d’omerta dans le milieu aérien. Y a-t-il encore des choses qu’on nous cache concernant la sécurité des vols ou lors d’enquêtes sur les crashs comme celui aujourd’hui de l’AF 447 ? F. N. : "Il est évident que le Bureau Enquêtes Analyses devrait, comme aux Etats Unis avec le NTSB être rattaché directement à l’Assemblée Nationale ou à un bureau européen, mais certainement pas au ministère des Transports dont le rôle est entre autres de défendre notre industrie aéronautique. Quant à la justice, je livre le témoignage d’un juge d’instruction courageux, le juge Sengelin, qui après le crash d’Habsheim en 1988, en plein lancement de l’Airbus A 320, m’a déclaré avoir subi des pressions du gouvernement. Avec l’omerta, règne aussi une certaine vendetta : malheur à celui qui dit la vérité sur ce secteur !"   Propos recueillis par Joël Ricci pour Air Journal * "Ces avions qui nous font peur", avril 2013, 350 pages, 19,90 € aux Editions Flammarion Air-journal_CesAvionsQuiNousFontPeur