Alors que l’interdiction des vols intérieurs quand une alternative ferroviaire de moins de 2h30 est possible doit entrer en vigueur en France, ACI Europe publie une nouvelle étude mettant en doute la réalité des gains pour l’environnement.

L’article 145 de la loi Climat et Résilience, voté par le Sénat en juin dernier et qui interdit les vols intérieurs quand une alternative ferroviaire de moins de 2h30 est possible, doit entrer en vigueur en ce printemps 2022 et concernera toutes les compagnies aériennes opérant en France. L’UAF, ACI Europe et le SCARA ont déjà déposé plainte contre la mesure, qui avait provoqué un tollé dans le secteur aérien, et même Bruxelles a déclenché une enquête pour vérifier que la loi est « proportionnelle et efficace » en matière de protection de l’environnement. Des mouvements similaires sont pourtant également en cours en Allemagne et dans les pays scandinaves, et des compagnies aériennes comme Air France et Lufthansa n’ont pas attendu pour arrêter des liaisons courtes, tout en en conservant d’autres pour les correspondances dans leurs hubs.

Selon ACI Europe, qui représente plus de 500 aéroports dans 55 pays du Vieux continent « facilitant plus de 90% du trafic aérien commercial en Europe », une nouvelle étude commandée par les associations européennes de l’aviation et réalisée par le cabinet de conseil en économie et finance Oxera confirmerait que les avantages en matière de réduction de CO2 du transfert des vols court-courriers vers le rail sont limités : si une comparaison directe des émissions actuelles montre que le rail émet moins de CO2 par passager-kilomètre que le transport aérien, les avantages en termes de CO2 du transfert des vols court-courriers vers le rail « sont limités et génèrent d’autres coûts environnementaux, sociaux et économiques ». Pour l’association professionnelle, « plusieurs facteurs » doivent être pris en compte lors de l’évaluation de la politique optimale pour l’aviation court-courrier en Europe. Ces vols de moins de 500 km représentent selon elle « 1 à 2% des émissions totales de l’aviation de l’UE. Le passage obligatoire de l’air au rail n’est pas une solution miracle pour réduire les émissions. Ils compromettraient également la capacité de l’aviation court-courrier à servir de banc d’essai pour la décarbonation de l’aviation ».

Le rapport, « Vols court-courriers et connectivité durable », souligne le fait que la situation est bien plus complexe que le simple passage d’un mode de transport à un autre. La construction de nouvelles lignes ferroviaires a un coût environnemental élevé en raison des émissions de CO2 associées au ciment et à la production d’acier, et des émissions provenant du combustible utilisé pour la construction d’infrastructures. L’étude identifie également « l’impact significatif sur la biodiversité et les dommages aux habitats fauniques » comme facteurs environnementaux supplémentaires.

Pour de nombreuses liaisons aériennes court-courriers avec une fréquence de trafic plus faible, ou dans les aéroports sans bonne connexion ferroviaire à grande vitesse, le rail ne peut pas être économiquement viable « car il est basé sur un modèle commercial différent avec des taux d’occupation et de vitesse inférieurs », souligne ACI Europe. De plus, rien ne garantit selon l’association que les passagers passeront de l’avion au train et ne choisiront pas de voyager en voiture à la place, « ce qui pourrait entraîner une augmentation des émissions de CO2 ».

La décarbonation de l’aviation sera en outre « bien engagée au moment où une infrastructure ferroviaire comparable sera déployée » : les avions hybrides électriques seront d’abord testés sur les routes régionales d’ici 2030, ce qui devrait réduire les émissions de CO2 de 50% par vol dans ce segment de marché. Par conséquent, à mesure que les secteurs ferroviaire et aérien « se décarboneront », l’écart entre les émissions de CO2 de l’air et du rail sera encore réduit. En outre, en tant que routes les plus susceptibles d’être décarbonées en premier, les vols court-courriers en Europe « joueront un rôle important dans le déploiement de technologies perturbatrices à faible émission de carbone, accélérant ainsi un déploiement plus large de la décarbonation ».

Les aéroports régionaux et les compagnies aériennes sont essentiels au développement économique et social de leur région, rappelle ACI Europe, car ils permettent aux économies locales d’accéder à de plus grands centres économiques : ils sont « la clé de la politique de cohésion de l’UE et des outils essentiels pour réduire les inégalités territoriales et sociales ». Le Parlement européen estime que le secteur de l’aviation soutient environ cinq millions d’emplois et contribue à hauteur de 110 milliards d’euros au PIB européen par an ; si les effets indirects sont inclus, ces chiffres atteignent 12 millions d’emplois et au moins 700 milliards d’euros de PIB.

Les responsables des associations aéronautiques appellent donc les décideurs politiques « à prendre en compte ces facteurs environnementaux, sociaux et économiques lorsqu’ils envisagent d’optimiser la décarbonation des transports régionaux en Europe ». Pour ACI Europe, il faut « plus d’équilibre et de précision factuelle dans le débat autour de l’intermodalité du transport durable. Tous les modes de transport ont leur rôle à jouer ; il ne s’agit pas d’aviation ou de rail, mais d’aviation et de rail ».

Rappelons que selon le Sénat français, huit lignes intérieures exploitées par la seule Air France avant la pandémie de Covid-19 faisaient partie du « périmètre d’interdiction » : trois desservant Paris-Orly (Bordeaux, Lyon et Nantes), quatre desservant Paris-CDG (Bordeaux, Lyon, Nantes et Rennes), ainsi que la liaison entre Lyon et Marseille.

Avion contre train : ACI Europe dénonce encore la mesure française 1 Air Journal

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