La volonté du gouvernement français d’interdire les vols intérieurs quand une alternative ferroviaire de moins de 2h30 est possible provoque des réactions négatives en particulier chez le SCARA, tandis que l’Europe s’interroge sur la légalité du dispositif.

La mesure est qualifiée par Alain Battisti, président de la FNAM, de « gadget électoral destiné à consolider des alliances pour les élections municipales ». Il ne sera bientôt « plus possible de prendre l’avion en France », affirme de son côté le Syndicat des Compagnies AéRiennes Autonomes (SCARA), qui accuse le gouvernement de porter ainsi un « nouveau coup aux compagnies aériennes non Air France ». Regroupant plus de 50% des compagnies aériennes françaises, basées en Métropole et dans les territoires ultra-marins ainsi que des sociétés d’assistance aéroportuaire et de formation, le syndicat affirme dans un communiqué du 23 juin 2020 qu’en élargissant la mesure à tous les transporteurs opérant en France, le gouvernement pose désormais « trois problèmes majeurs » avec sa décision :

– Elle pourrait porter atteinte à la liberté d’entreprendre « qui a valeur constitutionnelle. Dans une économie libérale, le marché doit pouvoir décider et si une demande persiste, il n’y a aucune raison de ne pas y répondre. Le train dessert les centres-villes , alors que l’avion dessert des périphéries (aéroports) et le choix de la clientèle peut s’orienter différemment en fonction des destinations ».

– Elle n’est étayée par aucune donnée scientifique concernant l’impact environnemental de l’avion qui serait moindre que celui du train. « Scientifiquement, le train n’a pas significativement moins d’impact environnemental que l’avion.  Un rapport de la cour des comptes, La grande vitesse ferroviaire : un modèle porté au-delà de sa pertinence, en 2014 déjà soulignait un bilan environnemental en demi-teinte et que l’impact de la construction des LGV sur les milieux naturels, quoiqu’inférieur, ne diffère pas fondamentalement de celui des autoroutes ».

« Les idées fausses sur l’impact environnemental de l’avion sont également relayées par des campagnes de dénigrement du transport aérien («flygskam») comme le démontre du rapport de la Chaire Pégase intitulé “Les Français et l’impact environnemental du transport aérien: entre mythes et réalités” », rappelle le SCARA. « Il est bon de rappeler également que l’électricité qui alimente le TGV est produite par des centrales nucléaires ou par des centrales à charbon ou à pétrole qui ne sont pas des modes de production très vertueux en matière environnementale ».

– Elle sera vraisemblablement rejetée au niveau européen : «Pour mettre en œuvre cette décision la France devra, conformément, à l’art. 20 du règlement européen 1008/2008 notifier son projet à la Commission Européenne et aux autres États membres et prouver qu’il existe  des problèmes graves en matière d’environnement. Comment peut-on démontrer, en l’espèce, qu’il y a un problème grave d’environnement ? Par ailleurs, si la Commission Européenne ou un autre État membre s’y oppose, la mesure ne pourra pas entrer en vigueur. L’Espagne avec Vueling et Volotea, ou l’Irlande avec Ryanair, accepteraient-ils la décision d’interdire un marché aux compagnies aériennes ? »

Le SCARA s’interroge donc : cette décision de supprimer les dessertes aériennes intérieures « ne serait-elle qu’une justification fallacieuse de l’aide de 7 milliards d’euros accordée à Air France ? N’est-ce pas aussi un paradoxe de dénigrer le transport aérien pour aider Air France ? ». Rappelons que ces liaisons où une alternative ferroviaire en moins de 2 heures 30 est possible, comme entre Paris et les aéroports de Bordeaux, Lyon, Nantes ou Rennes, doivent être abandonnées par Air France au titre des conditions à son aide publique de 7 milliards d’euros ; mais elle ne seront pas reprises par ses concurrentes en particulier low cost, précisait lundi le secrétaire d’Etat aux transports.

La Commission européenne a confirmé au moins un des arguments du SCARA : le porte-parole Stefan de Keersmaecker a déclaré être « justement en contact » avec les autorités françaises pour évaluer les mesures annoncées et s’assurer qu’elles sont compatibles avec le droit européen, comme l’a déclaré Jean-Baptiste Djebarri, Secrétaire d’État français auprès de la ministre de la Transition écologique et solidaire, chargé des Transports. L’UE a bien demandé au secteur du transport de réduire ses émissions, et un règlement permet aux états de « limiter, voire d’interdire des vols en cas de sérieux problèmes environnementaux » en particulier quand des alternatives existe, a-t-il rappelé. Mais une « série de conditions importantes » est attaché à cette possibilité : les mesures doivent être non discriminatoires et « proportionnées à l’objectif poursuivi », tout en ne faussant pas la concurrence (ce qui serait le cas si ces routes intérieures sont interdites à tout le monde), et surtout « n’excèdent pas trois ans ». Le porte-parole n’a pas précisé si cela impliquait une relance du Orly – Bordeaux en 2023.

« On pourra s’étonner de la confusion des genres qu’alimentent les déclarations du Secrétaire d’État Jean-Baptiste Djebarri. Nous vivons sous un régime communautaire européen basé sur la libre-concurrence », commente un voyagiste du comparateur de tarifs aériens Bourse Des Vols. « Soit on interdit les liaisons aériennes selon des critères objectifs, que les liaisons soient intra ou transfrontalières, au titre de la sauvegarde de l’environnement sur le Vieux Continent, et dans ce cas un vol Bruxelles-Nantes pourrait être interdit au même titre qu’un vol Nantes-Biarritz. Soit le gouvernement français exige des restrictions aux compagnies aériennes françaises ayant bénéficié des aides publiques, et à ce seul titre. Dans ce dernier cas, Ryanair, Wizzair ou Easyjet (entreprise autrichienne)… qui n’ont reçu aucune aide française, n’ont pas de raison de renoncer à leurs droits d’exploitation des vols domestiques ou intra européens. 
Accorder le monopole à la SNCF supposerait, par ailleurs de sérieuses contre-garanties pour le consommateur : un plafond tarifaire du km parcouru et un encadrement du droit de grève sur les destinations soumises à exclusivité. Le Secrétaire d’État auprès de la ministre de la Transition écologique et solidaire serait peut-être mieux inspiré de se pencher sur le travail de la DGAC -qui se présente sur son site internet comme “une administration exemplaire”- et vérifiant que toutes les missions qui lui ont été confiées l’ont été correctement avant la crise du Covid-19».

Vols courts interdits en France : les acteurs de l'aérien protestent ! 1 Air Journal

©Aéroport de Lille