Air Antilles, relancée à grand frais après sa liquidation judiciaire, se retrouve de nouveau sous haute tension sociale et financière. L’intersyndicale SNPL France ALPA – SNPNC/FO – UNSA Aérien dénonce une gouvernance « silencieuse » et « inexpérimentée », pointant des risques croissants pour la continuité des liaisons inter‑îles et la qualité de service dans le ciel caribéen.

Compagnie régionale française basée en Guadeloupe, Air Antilles opère aujourd’hui un réseau centré sur la Guadeloupe, la Martinique, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, avec une flotte de turbopropulseurs ATR dédiée aux liaisons courtes et fréquentes. Après la liquidation du groupe CAIRE, elle a été reprise via une société d’économie mixte locale (SEML) détenue à 60% par la Collectivité de Saint-Martin et à 40% par le groupe Edeis, afin de préserver la connectivité inter‑îles et un outil stratégique pour les économies locales.

Depuis sa relance commerciale en juin 2024, la compagnie a progressivement reconstruit son programme, jusqu’à transporter plus de 150 000 passagers -des chiffres datant d’octobre- en un peu plus d’un an, s’imposant de nouveau comme un acteur central des flux intra‑caraïbes. Mais cette montée en puissance s’est faite sur fond de fragilités financières persistantes, au point que la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) a accordé à l’entreprise un sursis pour sa licence de transporteur jusqu’en janvier 2026.

Un sursis réglementaire et un soutien financier sous tension

Le 6 octobre 2025, le conseil territorial de Saint-Martin a voté un nouvel appui financier de 3 millions d’euros à Air Antilles, présenté comme un « geste fort et décisif » pour consolider la compagnie et maintenir une offre de transport abordable et compétitive dans l’archipel. Cette injection porte à plus de 16 millions d’euros l’effort consenti par la Collectivité en deux ans pour maintenir la SEML à flot, après de vifs débats sur le coût pour les finances publiques et l’absence de visibilité durable. Cette décision intervenait quelques jours après le renouvellement de la licence d’exploitation de la compagnie (30 septembre) jusqu’à fin janvier 2026.

L’objectif affiché par les élus est de sécuriser la continuité territoriale et la desserte aérienne des îles, dans un contexte de hausse générale des coûts d’exploitation (carburant, maintenance, ressources humaines) pour les compagnies régionales opérant des turbopropulseurs sur des marchés étroits. Ce soutien financier se superpose toutefois à l’épée de Damoclès réglementaire que constitue le sursis de licence, obligeant Air Antilles à présenter un modèle économique crédible et un plan de redressement solide d’ici début 2026.

L’intersyndicale dénonce une « crise profonde »

Dans ses communiqués, l’intersyndicale de la SEML Air Antilles affirme avoir « multiplié les alertes concernant la situation critique de notre compagnie aérienne » et regrette que « malgré nos courriers et nos rencontres, aucune décision concrète n’a été prise pour arrêter la dégradation de l’exploitation ». Elle met en cause « les choix incompréhensibles d’une gouvernance inexpérimentée » qui auraient plongé la société « dans une crise profonde ».

Les conséquences opérationnelles sont décrites comme immédiates : « annulations de vols en cascade », « passagers abandonnés sans information », « salariés épuisés et en sous‑effectif chronique », avec « pression accrue sur l’encadrement » et « dégradation de la qualité de service et risques opérationnels ». Les syndicats affirment « refuser que cette dérive se poursuive » et demandent la mise en place d’un « plan clair de continuité de l’exploitation, des engagements financiers transparents et sécurisés et une stratégie pérenne pour la survie et le développement de la compagnie ».

Au cœur de la colère syndicale, une accusation de mutisme visant à la fois la Collectivité territoriale de Saint-Martin, actionnaire majoritaire, et la direction de la SEML. L’intersyndicale affirme que « ni la Collectivité territoriale de Saint-Martin, ni la Direction d’Air Antilles ne répondent à nos sollicitations, laissant personnels, passagers et partenaires dans une incertitude totale », tandis que ses dernières demandes de réunion seraient restées « lettres mortes ».

Ce durcissement intervient alors que les relations sociales s’étaient apaisées au lendemain de la reprise de 2022–2024, la nouvelle direction ayant initialement bénéficié d’un climat plus serein pour relancer les opérations. Mais les sursis de licence pèsent sur le climat social.

Face à ce qu’elle qualifie d’« inaction du Conseil d’administration », l’intersyndicale prévient qu’elle se « réserve le droit d’engager tous les moyens juridiques et syndicaux nécessaires dans le strict respect de la sécurité des vols ». Les représentants du personnel s’interrogent ouvertement : « Quels moyens juridiques ou syndicaux devrons‑nous utiliser pour être enfin entendus ? Nous ne souhaitons pas en arriver là, mais nous ne laisserons pas la compagnie s’effondrer. »

Quelle suite au bras de fer ?

Cette mise en garde laisse planer la menace de contentieux ou de mouvements sociaux pouvant aller jusqu’à la grève, dans un transport aérien régional déjà fragilisé par des marges faibles et une forte sensibilité aux aléas opérationnels. Une telle escalade pourrait compliquer encore les discussions avec les autorités de tutelle et les investisseurs, au moment où la compagnie doit démontrer sa capacité à stabiliser son exploitation et à sécuriser ses perspectives de développement. Malgré un ton menaçant, l’intersyndicale affirme être « prête à bâtir, dès maintenant, un projet solide, transparent et durable, qui respecte les salariés et sécurise l’avenir de la compagnie », garantissant l’emploi et la sécurité opérationnelle.

Au‑delà du bras de fer social, le dossier Air Antilles illustre les difficultés structurelles des transporteurs régionaux insulaires à concilier service public de continuité territoriale et viabilité économique. L’exploitation de flottes de turbopropulseurs comme les ATR 42/72 sur des réseaux très courts, soumis à une forte saisonnalité et à une pression sur les prix, rend l’équation délicate, surtout lorsque les coûts fixes (maintenance, redevances aéroportuaires, conformité réglementaire) restent élevés.

Air Antilles en zone de turbulences : l’intersyndicale dénonce une « crise profonde » et réclame un plan de sauvetage 1 Air Journal

©Air Antilles : Anthony Pecchi