Air India a « redécouvert » un Boeing 737-200 de 43 ans, oublié depuis plus de dix ans dans un coin reculé de l’aéroport de Kolkata, au point d’avoir disparu des registres officiels de la compagnie avant sa privatisation.

Le biréacteur en question, immatriculé VT‑EHH, est un Boeing 737‑2A8F de la famille des « Baby Boeing », livré à Indian Airlines en 1982 avant d’être opéré par Alliance Air puis converti en avion cargo pour le compte d’India Post en 2007. Après la fusion d’Indian Airlines avec Air India, l’appareil bascule dans la flotte du pavillon national et assure des vols postaux jusqu’à son retrait du service en 2012, lorsqu’il est stationné à l’aéroport Netaji Subhas Chandra Bose de Kolkata (CCU).

Plutôt que d’être rapidement démantelé, revendu ou cannibalisé pour pièces, le 737 est relégué sur une aire de stationnement très éloignée, où il reste plus de treize ans sans activité. Ce n’est qu’à l’occasion d’une campagne de dégagement des aéronefs hors service que la direction de l’aéroport de Kolkata demande officiellement à Air India de retirer cette cellule oubliée, déclenchant une enquête interne aussi surprenante que révélatrice.

Disparition des registres comptables

Alertée par le gestionnaire aéroportuaire, Air India lance un audit qui met en lumière un trou béant dans ses registres d’immobilisations : VT‑EHH ne figure plus dans les inventaires d’actifs, ni dans les tableaux d’amortissement, ni dans les fichiers d’assurance, ni dans les prévisions de maintenance. Le PDG d’Air India, Campbell Wilson, a confirmé en interne que l’appareil avait progressivement « glissé en dehors » de la mémoire institutionnelle dans les années précédant la privatisation, au point que la compagnie « ne savait même plus qu’elle en était encore propriétaire » jusqu’au signalement de Kolkata.

Cette omission signifie qu’au moment de l’acquisition d’Air India par le groupe Tata en 2022, le 737 n’a pas été pris en compte dans l’évaluation des actifs, alors même qu’il était toujours physiquement présent sur le tarmac. À l’époque où la compagnie était encore publique, ce type de défaillance de suivi pesait indirectement sur le contribuable, les pertes et coûts inutiles étant absorbés par l’État et non par un actionnaire privé.

L’épisode, à la fois insolite et préoccupant, illustre les défis de gouvernance et de gestion d’actifs auxquels font face les anciens transporteurs publics en pleine modernisation.

Héritage d’une gestion d’actifs dépassée

Avant sa privatisation, Air India ne disposait pas de registres d’immobilisations structurés au niveau attendu d’un grand transporteur international pour suivre finement amortissements, redevances de stationnement, couverture d’assurance et cycles de maintenance. Or ces outils sont la base de travail des assureurs, des planificateurs de maintenance et des directions financières pour mesurer le risque opérationnel, anticiper les coûts et décider du sort d’un avion en fin de vie.

Le VT‑EHH n’était pas seul dans cette situation : les archives et témoignages montrent qu’un autre 737‑200 cargo d’Air India, VT‑EGG, a lui aussi été stocké à Kolkata avant d’être déplacé au Rajasthan et transformé en restaurant à thème, comme cela se pratique de plus en plus avec des avions retirés du service. Des observateurs ont également signalé que VT‑EHH avait été aperçu dans ses « derniers jours » à Delhi, avant d’être finalement revendu puis réutilisé comme structure fixe, même si les détails précis de sa localisation finale restent flous selon les bases de données spécialisées.

Air India assure désormais avoir renforcé ses processus de gouvernance sous l’égide du groupe Tata, avec des registres d’actifs modernisés destinés à éviter qu’un avion entier ne « disparaisse » à nouveau dans les limbes administratives. Pour les passagers, cette montée en gamme de la gestion interne, moins visible qu’un nouveau livrée ou un siège long‑courrier, constitue pourtant l’un des piliers d’une exploitation fiable et durable, condition essentielle à la confiance dans la compagnie.