Le président du syndicat de pilotes SNPL prévient le futur PDG de la compagnie aérienne Air France-KLM qu’il devra reprendre les négociations salariales, sinon il y aura « quinze jours de grève » en plus des quinze déjà organisés depuis février dernier.

Interrogé dans Le Parisien du 11 aout 2018, Philippe Evain disait croire que la multiplication par trois de la rémunération du futur dirigeant du groupe franco-néerlandais allait compliquer les négociations avec les syndicats : « c’est un symbole. Surtout si la nouvelle direction n’entend pas négocier. Mais je n’y crois pas. Ou alors, il y aura quinze jours de grève ». Il a plus tard nié avoir prononcé cette phrase, expliquant sur les réseaux sociaux qu’il a « juste indiqué que l’absence de dialogue social en était la cause (des 15 jours de grève du printemps NDLR). Je suis sûr que nous arriverons à discuter avec le remplaçant de JMJ » (Jean-Marc Janaillac, PDG qui avait démissionné en mai suite à l’échec de ses propositions salariales).

Le syndicaliste était interrogé sur la rumeur entourant l’arrivée du numéro 2 d’Air Canada, Benjamin Smith, comme CEO d’Air France-KLM aux côté d’un président non-exécutif. Une arrivée non confirmée mais déjà dénoncée mercredi dernier dans un communiqué du SNPL, en particulier au nom de la défense des intérêts français. Pour Philippe Evain, « ce n’est pas au SNPL de choisir le PDG d’Air France – KLM. Mais nous sommes inquiets. Nous pensons qu’il faut un dirigeant connaissant les spécificités du dialogue social français, qui maîtrise les détails du marché aérien européen et notamment les forces en présence entre les low-cost et les compagnies historiques. C’est très différent de ce qui se passe au Canada ». Le syndicaliste évoque une question de souveraineté et dénonce de nouveau « les Américains et les Néerlandais », en l’occurrence l’actionnaire Delta Air Lines et KLM, à qui « nous sommes entrain de faire plaisir ». Le comité de nomination du groupe, dirigé par la présidente par intérim Anne-Marie Couderc, écarterait selon lui « deux ou trois talents, des industriels qui connaissent le marché européen », au nom d’un « consensus » qui permettrait à certains dirigeants actuels « d’avoir une chance de rester dans la nouvelle organisation » car « le nouveau PDG aurait besoin d’eux ».

Un point ne change pas dans le discours de Philippe Evain : le divorce entre direction et salariés étant « archi consommé », il souhaite le départ des dirigeants actuels et en particulier du directeur général d’Air France Franck Terner, qui n’est « plus capable de nous parler » ; le reconduire serait « bafouer » le vote massif des salariés qui avait rejeté l’équipe dirigeante en place au printemps.

La possibilité de nommer un CEO étranger à la tête d’Air France-KLM, dont le patron a toujours été français, était actée depuis le mois dernier, et ce sous la pression des actionnaires Delta Air Lines et China Eastern Airlines – et avec l’accord des Néerlandais. Ce qui entrainerait la suppression du poste de PDG du groupe, poste dont Jean-Marc Janaillac avait démissionné le 4 mai suite au rejet par les employés de ses propositions salariales. Le discours du président du SNPL a trouvé des échos hier dans le JDD : Paul Farges, représentant des pilotes actionnaires au Conseil d’administration d’Air France-KLM, estime lui aussi que des Français « ayant un parcours international répondent à ce profil » de futur dirigeant. Opter pour le Canadien Ben Smith reviendrait à « placer Air France sous influence nord-américaine », et serait le signe que Paris « aurait renoncé à sa souveraineté aérienne ».

Le processus de nomination de la nouvelle gouvernance « est en cours et se poursuit. Aucune décision n’est prise », réagissait la direction du groupe de l’alliance SkyTeam à la rumeur concernant le numéro 2 d’Air Canada. On sait déjà que le nouveau patron d’Air France sera nommé en septembre, le comité de nomination continuant sa recherche de l’oiseau rare (ou plutôt désormais des oiseaux rares) après l’abandon des pistes concernant la PDG de la RATP Catherine Guillouard ou Philippe Capron de Veolia.

Rappelons que les syndicats français menacent de reprendre leur conflit sur les salaires en septembre, alors qu’ils avaient suspendu leur mouvement suite à la démission de Jean-Marc Janaillac, après avoir mené quinze jours de grève depuis février. Les syndicats de pilotes (SNPL, SPAF, Alter), du personnel au sol (CGT, FO, SUD) et d’hôtesses de l’air et stewards (SNPNC, UNSA-PNC, CFTC, SNGAF) déclaraient fin juillet : « avec ou sans PDG, dès le mois de septembre pour ne pas pénaliser nos passagers pendant l’été, le conflit pour les salaires reprendra. Et seul un accord pourra y mettre fin ». L’intersyndicale réclamait une augmentation générale des salaires de 5,1% dès 2018 (plus 4,7% supplémentaires pour les pilotes), avec +3,8% au 1er avril (rattrapage d’inflation 2012-2017) et +1,3% en octobre (inflation prévisionnelle de 2018). Ces revendications auraient été abaissées durant les négociations avant le CCE du 14 juin, à une hausse des grilles de salaires de 4% en 2018 et du montant du niveau de l’inflation en 2019 (hors avancement automatique). En face, Air France avait officiellement revu à la hausse l’augmentation de 1% qui n’avait été signée que par deux syndicats (CFDT et CFE-CGT représentant 31,3% des voix du personnel) : sa proposition d’accord portait sur une augmentation générale de 2% en 2018, assortie d’un seuil minimum de 25 euros par mois, puis une autre augmentation générale de 5% pour 2019, 2020 et 2021 (1,65% par an), assortie d’un seuil minimum de 40 euros par mois. Les salaires seraient selon la direction ainsi augmentés de 12,5% en moyenne sur la période (comprenant une augmentation générale de 7% pour toutes les catégories de personnel et les augmentations individuelles/GVT) ; mais ce « pacte de croissance » prévoyait d’adapter l’augmentation dans le cas où le résultat d’exploitation d’Air France serait inférieur à 200 millions d’euros, et d’appliquer une clause de revoyure en cas d’inflation plus élevée ou de résultat négatif. Une proposition rejetée par 55% des salariés en avril dernier.