Faute d’avoir récupéré l’enregistreur des conversations du cockpit, le rapport préliminaire sur le crash de la low cost Lion Air fin octobre, dans lequel 189 personnes avaient trouvé la mort, ne contient que peu d’éléments nouveaux. Mais le KNKT en charge de l’enquête demande à la compagnie aérienne d’améliorer sa culture de la sécurité.

Le document de deux pages dévoilé le 28 novembre 2018 par le Comité national indonésien de la sécurité des transports (KNKT), détaille le déroulement du vol JT610 le 29 octobre, effectué par le Boeing 737 MAX 8 immatriculé PK-LQP entre Jakarta-Soekarno Hatta et l’aéroport de Pangkal Pinang. Comme déjà annoncé, les pilotes de cet appareil avaient rencontré la veille des problèmes lors d’un vol entre Bali et Jakarta, les instruments affichant des lectures inexactes provenant des capteurs d’incidence (AoA, Angle of Attack). Lors du vol fatal qui n’a duré que treize minutes, les instruments ont selon le rapport enregistré une différence importante dans l’angle de l’appareil, jusqu’à 20 degrés. Dans les 90 secondes suivant le décollage, le copilote a demandé au contrôle aérien de confirmer la vitesse et l’altitude de l’avion ; trente secondes plus tard, il a signalé qu’ils avaient rencontré un « problème avec les contrôles de vol ». Une fois les volets rentrés après le décollage, le problème de compensation automatique enregistré lors du vol précédent est réapparu, jusqu’à ce que l’enregistreur des données de vol (FDR, la seule boîte noire retrouvée à ce jour) arrête d’enregistrer au moment où l’avion s’est écrasé dans la mer.

Lors du vol précédent, le rapport confirme que le 737 MAX 8 effectuait un « automatic trimming » (compensation automatique de l’assiette), ce qui a conduit les pilotes à passer en commandes manuelles, et poursuivre leur route sans encombre – mais en limitant l’altitude maximale comme le recommandent les procédures. Selon l’ancien ingénieur de Boeing Peter Lemme, les pilotes du vol JT610 auraient fait face à ce problème 26 fois, le 737 corrigeant son assiette et l’équipage contrecarrant cette action – avant que le nouveau système MCAS ne recommence sa correction 5 secondes plus tard, toujours sur la base d’informations erronées des sondes d’incidence. L’absence de l’enregistreur des voix du cockpit (CVR) ne permet pas d’expliquer pourquoi le commandant de bord indien et le copilote indonésien n’ont pas régi correctement ; ils n’étaient apparemment pas au courant des problèmes rencontrés par le 737 la veille.

Les sondes fautives avaient fait l’objet d’une intervention de la maintenance après le vol parti de Bali, de nouveaux tests étant toutefois nécessaires selon le KNKT qui doit rendre son rapport définitif dans les douze mois. Mais le responsable de l’agence Nurcahyo Utomo a déclaré hier devant le Parlement indonésien qu’à son avis, « l’avion n’était plus en mesure de voler et n’aurait pas dû redécoller ». Le rapport préliminaire précise que Lion Air doit donc prendre des mesures pour « améliorer sa culture de sécurité », et s’assurer en particulier que tous les « documents opérationnels » (dont ceux faisant la liste des interventions de maintenance) doivent être « bien remplis et documentés ». On retiendra d’ailleurs qu’aux Etats-Unis, la low cost Southwest Airlines a dû clouer au sol 34 Boeing 737-700 après avoir découvert que les relevés de maintenance n’étaient pas conformes au directives de la FAA. Le problème a été réglé après une inspection visuelle des appareils. La compagnie aérienne opère 26 des 260 737 MAX 8 commandés, qui n’étaient pas concernés par la découverte.

Début novembre, Boeing avait émis un bulletin rappelant les procédures à suivre « pour gérer les cas dans lesquels l’information d’un capteur AOA est erronée ». La FAA américaine avait émis dans la foulée une directive concernant les 246 Boeing 737 MAX en service, demandant aux opérateurs de mettre à jour le manuel de vol (AFM) d’ici trois jours pour fournir à l’équipage « les procédures de compensation du stabilisateur horizontal à suivre dans certaines conditions ». Les syndicats de pilotes ont déploré de leur côté un manque de formation.

Si le crash du mois dernier n’est « que » le deuxième mortel dans l’histoire de Lion Air (25 personnes avaient péri en 2004 quand son McDonnell Douglas MD-82 s’était écrasé à Surakarta), la low cost a connu plusieurs accidents sérieux, dont celui de 2013 à Bali qui n’avait fait aucune victime alors qu’un 737-800 s’était posé en mer lors d’un atterrissage raté. Lion Air figurait alors sur la liste noire des compagnies aériennes interdites de vol en Europe, mais en était sortie en juin 2016 – en même temps que sa filiale Batik Air et Citilink, la low cost de Garuda Indonesia. En juin dernier, la Commission européenne retirait tous les transporteurs aériens indonésiens de sa liste noire, « compte tenu des nouveaux progrès en matière de sécurité aérienne qui ont été constatés dans ce pays ». Au total, Lion Air a perdu cinq avions dans des incidents divers depuis 2002, cinq autres étant sérieusement endommagés.

L’accident du vol JT610 est le plus grave en Indonésie depuis 2015, quand un Airbus A320 de la low cost AirAsia Indonesia s’était écrasé en mer lors du vol QZ8501 entre Surabaya et Singapour. Le pire dans l’histoire du pays reste celui de Garuda Indonesia en septembre 1997, quand son A300 s’était écrasé sur une colline lors de son approche de l’aéroport de Medan (234 mort).

Crash de Lion Air: pas d’explication mais un problème de culture 1 Air Journal

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