Les patrons des deux grands rivaux européens de l’aérien, le directeur général d’Air France-KLM Benjamin Smith et le PDG de Lufthansa Group Carsten Spohr, ont uni leurs voix dans une interview croisée accordée aux journaux Les Echos et Frankfurter Allgemeine Zeitung. Ensemble, ils lancent un avertissement à l’Union européenne (UE) : sans rééquilibrage urgent des règles, les compagnies européennes pourraient être marginalisées face à la concurrence étrangère.​

Selon les deux dirigeants, plus de la moitié du trafic long-courrier à destination ou en provenance d’Europe est désormais assuré par des compagnies aériennes non européennes, dont Emirates, Qatar Airways ou Turkish Airlines. Soutenues par leurs États respectifs et libérées de nombreuses contraintes environnementales et fiscales, ces compagnies aériennes étrangères se sont taillées une part dominante du marché mondial. Benjamin Smith affirme que « l’UE est un marché ouvert, mais beaucoup de nos concurrents ne le sont pas », dénonçant une asymétrie réglementaire qui fragilise des millions d’emplois européens.​

Carsten Spohr situe même cette question sur le terrain de la souveraineté : « L’Europe ne peut déjà ni assurer seule sa défense, ni son indépendance énergétique. Elle doit au moins conserver sa liberté de circulation aérienne », prévient-il. Cette ouverture déséquilibrée du ciel européen, notamment à la suite de l’accord de 2021 entre Bruxelles et le Qatar, met en péril la compétitivité du transport aérien européen.​ Selon le dirigeant allemand, les soupçons de corruption sont largement connus et le fait que cet accord n’ait pas été annulé ou au moins suspendu constitue un véritable scandale. Dans le cadre de l’affaire dite « Qatargate », révélée à la fin de 2022 et ayant conduit à vingt inculpations, la justice belge enquête sur des soupçons de cadeaux et d’argent liquide versés par le Qatar et le Maroc dans le but d’améliorer leur image auprès du Parlement européen.

Une critique des règles environnementales européennes
Benjamin Smith et Carsten Spohr se disent favorables à la transition écologique mais jugent les mesures de l’UE trop pénalisantes lorsqu’elles ne s’appliquent qu’aux acteurs européens. Ils prennent pour exemple le règlement ReFuelEU Aviation, qui impose dès 2025 des quotas de carburants d’aviation durables (SAF). Ils plaident pour une taxe carbone universelle appliquée à chaque passager au départ d’Europe, quel que soit le transporteur, afin d’éviter que les compagnies extra-européennes n’échappent à leurs obligations climatiques.​

Les deux patrons proposent que cette taxe soit calculée selon la distance parcourue et utilisée pour financer le SAF, assurant ainsi, selon eux, une équité environnementale et économique entre transporteurs. Les deux dirigeants souhaitent en parallèle assouplir les règles de concurrence européennes pour favoriser la consolidation du secteur : « L’Europe a besoin de trois grands groupes capables de rivaliser avec les géants américains et chinois », résume Benjamin Smith, en comptant Air France-KLM, Lufthansa Group et IAG (British Airways et Iberia).​

Un contexte de montée en puissance des concurrents non-européens
Depuis vingt ans, la croissance des compagnies aériennes européennes stagne face à la montée fulgurante de Turkish Airlines, Emirates et Qatar Airways. Entre 2005 et 2025, l’offre long-courrier d’Air France n’a progressé que de 14%, celle de Lufthansa de 16%, quand Emirates a bondi de 357% et Qatar Airways de plus de 900%. Cette évolution, facilitée par un accès quasi illimité au marché européen, a entraîné la délocalisation d’une part du trafic et des emplois liés à l’aérien.​ Les deux dirigeants redoutent que, faute de réforme rapide, l’Europe perde tout contrôle sur ses liaisons stratégiques et se retrouve dépendante de hubs extra-européens (Abu Dhabi, Dubaï, Doha, Istanbul, etc.) pour les connexions entre continents.

Cette convergence entre les dirigeants des groupes aériens Air France-KLM et Lufthansa Group, historiquement concurrents, témoigne d’un désir d’unité dans un secteur divisé par les politiques nationales. Ensemble, ils appellent la Commission européenne à défendre « une aviation européenne forte, durable et compétitive », et des « règles du jeu équitables » pour peser face aux géants du Golfe, d’Asie et des États-Unis.

Air France-KLM et Lufthansa Group unissent leurs voix pour réclamer des « règles du jeu équitables » dans le ciel européen 1 Air Journal

@DR