Si une industrie peut relever « le défi de sa transformation », c’est bien l’aéronautique selon l’explorateur Bertrand Piccard, président de la Fondation Solar Impulse et Catherine Maunoury, championne du monde de voltige aérienne, présidente de l’Aéro-Club de France, qui appellent à « ne pas se tromper de combat » dans une tribune publiée hier par le Journal du Dimanche.

Alors que le premier weekend d’octobre 2020 a été marqué par des manifestations d’écologistes dans les aéroports français, en particulier à Paris-CDG et à Bordeaux où les militants ont atteint les pistes, la tribune dans le JDD rappelle après celles de parlementaires que l’aviation est un « bouc émissaire » facile dans la lutte contre le réchauffement climatique. Bertrand Piccard et Catherine Maunoury expliquent que l’étude des sources mondiales de CO2 « montre que les plus importantes proviennent des moteurs à combustion, des bâtiments mal isolés, des chauffages et climatisations inefficients. Mais l’impuissance à résoudre ces énormes problèmes de façon systémique ne devrait pas justifier de se retourner contre des cibles de moindre importance ». 

En ce qui concerne l’aviation, « les émissions de CO2 par passager ont diminué de 80% au cours des 70 dernières années pour ne plus représenter, avant la crise Covid-19, que 2 à 3% des émissions globales. Moins que le secteur digital dont les tenants du streaming vidéo ne sont jamais montrés du doigt », soulignent les auteurs. Le secteur aérien subit pourtant «  des attaques sans commune mesure avec son impact réel sur le climat. Elle est devenue l’otage d’une idéologie qui prône la décroissance comme seule solution aux enjeux environnementaux et qui déroule un avion-bashing, un dénigrement, qui frôle le fanatisme, comme pour se donner bonne conscience et oublier qu’on pollue ailleurs ». 

Ce « dénigrement irrationnel de l’aviation occulte non seulement la dimension émotionnelle, mais également l’impact socio-économique des activités aéronautiques », qui représentent plus de 1,1 million d’emplois directs et indirects en France, et 4,3% du PIB national. C’est donc « une réussite industrielle, un fleuron de notre capacité à innover, enfin un garant majeur de notre indépendance en matière de transport et de défense. Au-delà des nombreux emplois et du dynamisme économique qu’elle génère dans nos territoires, l’aéronautique est l’un des meilleurs représentants de notre savoir-faire ». 

Et surtout, l’avion-bashing éclipse l’essentiel selon Bertrand Piccard et Catherine Maunoury : « si une industrie peut relever le défi de sa transformation, c’est bien l’aéronautique. La capacité à se réinventer est inscrite dans son ADN ». Conscients des enjeux écologiques, les constructeurs ont donc repris le chemin de l’innovation et de l’efficience énergétique pour arriver le plus vite possible à l’avion zéro-émission (batteries, hydrogène, biocarburants de 3ème génération ou kérosène synthétique) ». Des avions de tourisme électriques « sont déjà disponibles pour les aéroclubs, mais il est clair qu’il faudra une décennie pour qu’il en soit de même en matière d’aviation commerciale ». Entretemps, les compagnies aériennes doivent assumer leur part « en facturant systématiquement la charge carbone sur chaque billet vendu, ce qui serait une manière indirecte d’être neutres dès maintenant sur le plan carbone. Elles jouent là leur avenir. Car l’avion-bashing n’a-t-il pas été engendré par le retard qu’a pris l’aviation dans la compensation carbone et la taxation du kérosène? ».

Il ne fait aucun doute selon eux que les industriels de la branche aéronautiques « doivent prendre leurs responsabilités, mais les écologistes aussi. Car cette stigmatisation de l’aviation fait oublier l’essence même de son utilité. L’avion est et demeurera un vecteur unique de rapprochement entre les peuples, d’échanges culturels, sociaux, scientifiques et économiques, de même qu’un formidable et efficace outil d’action en temps de crise ». « Nous vivons une époque où l’humanité comprend enfin le besoin impérieux de protéger son espace vital pour assurer la qualité de son existence future. La population commence même à se révolter contre les excès d’un système créateur de pollution et d’inégalités. Il était temps! Mais pour être efficaces, pour entrainer avec eux le maximum possible de soutien, les activistes doivent bien choisir leurs cibles, se concentrer sur l’essentiel et éviter de se cantonner dans l’anecdote en cherchant des boucs-émissaires, comme les sapins de Noël et les avions. Au risque de ridiculiser la cause qu’ils veulent défendre ».

« Ce n’est donc pas en dénigrant l’aviation, en cherchant à la casser, que nous allons résoudre le sujet écologique. Profitons au contraire de la crise sanitaire et économique actuelle pour l’encourager à évoluer encore plus vite. Ne cédons pas au dogmatisme ou à la tentation du bouc émissaire. Ne détruisons pas, par idéologie ou par ignorance, une industrie compétitive qui est source d’emplois, de savoir, d’échanges, d’excellence et de passion, d’autant plus qu’elle est très largement capable de relever ce double défi écologique et technologique. Nous sommes au début d’une nouvelle page de l’histoire et l’écrire prendra un certain temps. Mais aujourd’hui, comme il y a un siècle, nous avons tous ensemble la chance unique de construire l’aviation de demain. Ne la laissons pas passer », concluent Bertrand Piccard et Catherine Maunoury.

Tribune : stop à l’ « avion-bashing » 1 Air Journal

©Solar Impulse