Une étude irlandaise montre que les pilotes de ligne et membres du personnel de cabine souffrent psychologiquement des conséquences de la pandémie de Covid-19 plus que la population générale. Et que les compagnies aériennes devraient en faire plus, alors que la reprise du trafic se confirme en Europe.

Publiée dans le quotidien The Guardian, l’étude « Lived Experience and Wellbeing Project » du Trinity College à Dublin, qui étudie le bien-être des travailleurs de l’aviation et l’impact sur les performances et la sécurité des vols, évoque chez de nombreux travailleurs de l’aérien « de l’anxiété, du stress et de la dépression » ressentis durant les confinements. Et déclarent se sentir « découragés de mentionner leurs problèmes ou demander de l’aide » à leur employeur, ce qui selon les chercheurs crée « des risques potentiels pour la sécurité des vols » et pourrait avoir des conséquences sur leur santé mentale.

Une première enquête a été menée auprès de plus de 1000 pilotes dans le monde en 2019, et a constaté que 18% souffraient de dépression modérée et 80% d’épuisement professionnel modéré. Plus des trois quarts des répondants ont déclaré qu’ils ne divulgueraient pas ces problèmes aux employeurs, et 81% ont déclaré qu’ils ne se sentaient pas valorisés par les employeurs. Une deuxième enquête menée en août 2020 auprès de plus de 2000 travailleurs de l’aviation (principalement des navigants, des contrôleurs aériens et des ingénieurs) indique qu’ils souffraient plus que la population générale pendant la pandémie : un cinquième des pilotes et 58% des PNC ont signalé une dépression modérée, contre 23% pour l’ensemble des populations irlandaise et britannique.

La reprise du trafic est bien sûr accueillie favorablement par les pilotes et PNC, qui y voient la possibilité de récupérer les revenus d’avant la crise sanitaire. Mais ils redoutent aussi « l’épuisement », selon le pilote Paul Cullen associé à l’enquête et interrogé par The Guardian. « Nous ne pouvons pas balayer cela sous le tapis ou le camoufler. Les données indiquent qu’un certain nombre de pilotes étaient en difficulté avant la pandémie, mais qu’ils ne divulguaient pas un problème de santé mentale à leur employeur en raison de la stigmatisation et de la peur de perdre leur licence et peut-être de perdre leur salaire ». Et il ajoute : « tout comme les compagnies aériennes ont des procédures pour s’assurer que les avions mis en standby sont en état de navigabilité, les humains ont également besoin d’attention ». La résilience des individus ne sera « pas aussi forte qu’avant » face aux problèmes à gérer lors du retour dans les airs, assure-t-il.

Trois ans après le crash de la low cost Germanings, dont le copilote Andreas Lubitz avait volontairement percuté un flanc de montagne lors du vol 4U9525 entre Barcelone et Düsseldorf, tuant les 150 personnes à bord, la Commission européenne avait publié de nouvelles règles, y compris des dispositions visant à améliorer la santé mentale des équipages. Les navigants travaillant pour des compagnies aériennes européennes devaient ainsi avoir accès à un programme de soutien « pour les aider à reconnaître, gérer et surmonter les problèmes psychologiques qui pourraient affecter négativement leur capacité à opérer en toute sécurité ». Interrogée dans The Guardian, la porte-parole de l’EASA Janet Northcote explique que le secteur a effectivement travaillé avec des représentants de la psychologie de l’aviation et d’autres spécialistes pour améliorer le bien-être des travailleurs et les aider à faire face à toute « dégradation du bien-être » avant que celle-ci ne devienne un danger pour la sécurité. « Des groupes de soutien par des pairs, des activités de formation et de sensibilisation ont lieu régulièrement dans toute l’Europe, et l’agence a signalé la dégradation potentielle des compétences pendant la pandémie dans le cadre d’un projet de retour aux opérations normales », souligne-t-elle.

Mais le transport aérien ne collecte pas assez de données sur ce bien-être, réplique la chercheuse en chef du Trinity College Joan Cahill, tandis que selon Niven Phoenix, qui dirige Kura Human Factors (formation des pilotes et conseil aux compagnies aériennes), certains acteurs sont « volontairement aveugles » : « il existe de nombreuses preuves que les organisations ne veulent pas écouter. L’aviation est très, très sûre, mais elle est tellement impitoyable. Une plus grande concentration sur le bien-être du personnel protégerait les licences, les moyens de subsistance et les vies », a-t-il déclaré. La prise de conscience est selon lui « la clé du changement » : « quand quelqu’un est malade, nous voulons qu’il lève la main, le reconnaisse et cherche de l’aide ».

Covid et santé mentale : les navigants trinquent 1 Air Journal

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