Le procès du crash du vol IY626 de la compagnie aérienne Yemenia Airways, qui s’était écrasé en juin 2009 au large des Comores tuant 152 passagers et membres d’équipage à bord dont 66 Français, a été marqué lundi par le témoignage de la seule rescapée.

Le procès de la compagnie nationale yéménite, renvoyée pour « homicides et blessures involontaires » devant le tribunal correctionnel de Paris, doit durer jusqu’au 2 juin. Yemenia avait décollé de Paris le 29 juin 2009 à bord d’un Airbus A330-200 et fait escale à l’aéroport de Marseille-Provence, avant d’arriver dans sa base à Sanaa. De là était alors parti en direction de Moroni-Prince Saïd Ibrahim un A310-324 (immatriculé 7O-ADJ), mais tôt dans la nuit du 30 juin l’appareil s’était écrasé au large de l’archipel des Comores.

 

La seule survivante de l’accident est Bahia Bakari, qui voyageait en compagnie de sa mère pour assister à un mariage. Aujourd’hui âgée de 25 ans, elle a évoqué devant la cour la deuxième partie du vol, décrivant le vol en A310 « ayant des mouches à bord avec une forte odeur de toilettes » comme normal jusqu’aux consignes de sécurité pour l’atterrissage. Après quelques turbulences, elle raconte avoir senti « comme une décharge électrique dans tout mon corps », puis avoir un « trou noir » jusqu’à ce qu’elle se retrouve dans l’eau. Bahia Bakari s’agrippe alors au plus grand débris visible, « crie mais un peu sans espoir » car elle ne voit personne malgré les appels à l’aide entendus, et finit par s’endormir. S’étant réveillée totalement seule dans une mer très agitée et « avec le goût du kérosène dans la bouche », elle voit la côte trop lointaine et un avion la survoler sans être sûre qu’elle a été « repérée ». Un bateau la repêchera finalement plus de 9 heures après l’accident.

Il aura fallu qu’une psychologue de l’hôpital lui explique qu’elle est la seule survivante pour que Bahia Bakari comprenne qu’elle n’est pas « la seule à être tombée de l’avion » et que les autres passagers ne sont pas bien arrivés. Elle sera ensuite hospitalisée 20 jours en France, souffrant de fractures, de brûlures et d’un pneumothorax. « Ce qui a été très compliqué pour moi, c’est de gérer le deuil de ma mère, j’étais très proche d’elle », raconte la jeune femme qui évoque une « communauté comorienne très solidaire ».

Rappelons que les deux « boîtes noires » du vol 626 avaient été récupérées plusieurs semaines après le crash, mais l’enquête s’est longtemps enlisée, les autorités du Yémen se voyant reprocher de faire trainer pour protéger Yemenia. Après voir écarté les pistes de la panne, la foudre ou l’attentat terroriste, les enquêteurs sont convaincus qu’il s’agit d’une erreur humaine : en juin 2013, le rapport final du BEA (Bureau d’enquêtes et d’analyses) retenait comme cause « une action inadaptée de l’équipage au cours d’une manœuvre non-stabilisée dans le cadre de l’approche de l’aéroport de Moroni, conduisant à la perte de contrôle de l’avion ».

Les deux pilotes yéménites présents dans le cockpit avaient desservi Moroni à plusieurs reprises ; le commandant de bord Khalid Hajeb avait 7936 heures de vol à son actif dont 5314 sur A310, et le copilote Ali Atif 3641 et 3076 respectivement. Deux ans plus tôt, un rapport préliminaire mentionnait déjà des « erreurs manifestes » de la part des pilotes, avec entre autres le non-respect des procédures d’atterrissage notamment en ce qui concerne le positionnement des becquets, et une vitesse trop faible en cas de problème. Mais pour les magistrats, Yemenia est également responsable, pour avoir maintenu les vols de nuit à Moroni (où le balisage était déficient), pour une formation jugée insuffisante, et pour des problèmes d’entretien de la flotte. L’A310 impliqué, arrivé en 1999 chez Yemenia, était entré en service en 1990, chez Air Liberté qui le louait auprès d’ILFC ; il avait accumulé près de 53.600 heures de vol en 18.129 cycles.

La compagnie aérienne risque une amende de 225.000 euros dans ce premier procès au pénal. Yemenia « reste profondément marquée par cette catastrophe, en particulier pour les victimes, néanmoins elle proteste de son innocence en indiquant qu’elle n’est nullement responsable des faits qui sont intervenus », soutenait au début du procès son avocat Me Léon-Lef Forster à l’AFP. « Il y a eu des dysfonctionnements, mais qui lui sont pas imputables et qui apparaîtront lors de l’audience », assurait-il. La compagnie aérienne a déjà été condamnée en 2015 à verser 30 millions d’euros aux familles de victimes, ainsi qu’à d’autres peines dans des poursuites séparées.

Yemenia avait dû suspendre ses activités à plusieurs reprises depuis 2015 pour cause de conflit, et les avait repris de façon régulière en 2018 à Aden ; elle a opéré des vols de rapatriement depuis 2020 et la pandémie de Covid-19, annonçant dans la foulée la mise à la retraite de ses deux dernier A310. Elle dispose actuellement de quatre A320 et d’un A330-200 ; le premier vol commercial à Sanaa, fermé depuis 2016 sauf aux avions des Nations Unies en raison du conflit, a eu lieu le 16 mai vers Aden puis Amman en Jordanie : l’A320 de Yemenia immatriculé 7O-AFA transportait une centaine de passagers, « principalement des personnes âgées ou malades » selon les autorités locales.

Crash de Yemenia : la seule survivante témoigne 2 Air Journal

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