Alors que les autorités éthiopiennes ont récupéré le contenu des deux boîtes noires du Boeing 737 MAX 8 d’Ethiopian Airlines, qui s’est écrasé il y a huit jours dans des circonstances similaires au MAX 8 de Lion Air en octobre dernier, la polémique fait rage aux Etats-Unis sur la FAA et son rôle dans la certification du système anti-décrochage MACS.

Lors de l’analyse préliminaire de l’enregistreur des données de vol (FDR) du MAX 8 de la compagnie aérienne éthiopienne, qui assurait le 10 mars 2019 le vol ET302 entre sa base à Addis Abeba-Bole et l’aéroport de Nairobi-Jomo Kenyatta et s’est écrasé peu après son décollage entrainant la mort des 157 personnes à bord, des « similarités claires ont été notées » avec le vol JT610 de Lion Air, a déclaré hier la ministre éthiopienne des Transports, Dagmawit Moges. Ces similarités doivent « faire l’objet d’une étude plus approfondie », a-t-elle ajouté, un rapport préliminaire sur les causes du crash devant être publié a priori le mois prochain. Le PDG de Boeing Dennis Muilenburg a réagi hier soir dans un communiqué, soulignant que le constructeur « continue d’apporter son assistance aux enquêteurs et collabore avec les autorités pour évaluer les nouvelles informations portées à sa connaissance. Lorsque nous concevons, construisons et assurons la maintenance de nos avions, la sûreté et la sécurité constituent notre priorité absolue. Dans le cadre des dispositions systématiquement mises en œuvre en cas d’accident, nous examinons la conception et l’exploitation de nos avions et, le cas échéant, procédons à la mise à jour de nos produits afin d’en améliorer encore davantage la sûreté et la sécurité ». Tandis que les enquêteurs poursuivent leur travail en vue d’établir des conclusions définitives, le dirigeant rappelle que Boeing « finalise l’élaboration d’une mise à jour logicielle annoncée précédemment et révise la formation des pilotes à propos du comportement de la loi de commandes de vol du système MCAS en cas de réception de données erronées en provenance des capteurs. Nous continuons également à apporter une assistance technique à la demande, et sous la direction, de l’Agence américaine de sécurité des transports NTSB (National Transportation Safety Board), représentant officiel des États-Unis auprès des enquêteurs éthiopiens ». Cette mise à jour, évoquée suite au crash de Lion Air en octobre dernier (pour lequel un rapport préliminaire a été publié) et apparemment présentée à certains clients jeudi, pourrait être prête d’ici la fin de cette semaine selon plusieurs sources ; la modification prendrait environ deux heures par appareil, 371 MAX 8 et MAX 9 étant cloués au sol depuis la semaine dernière.

La FAA avait la semaine dernière demandé à Boeing de produire la mise à jour du système MCAS avant la fin du mois. Mais selon la presse américaine et en particulier le Seattle Times (en anglais), l’autorité fédérale de l’aviation avait délégué une grande partie du processus de certification du 737 MAX, et en particulier de ce système anti-décrochage à des ingénieurs de Boeing. Le quotidien détaille en particulier un rapport d’expertise sur le MACS « truffé d’erreurs », sous-estimant en particulier la puissance du système (qui accentue l’angle des stabilisateurs quatre fois plus que prévu, 2,5° au lieu des 0,6° cités dans les documents de la FAA, et continue à faire piquer l’avion du nez malgré les actions des pilotes). Selon les sources du Seattle Times, cette analyse aurait été remise à Boeing et la FAA avant le crash d’Ethiopian Airlines, vendredi soir, cette dernière Vendredi soir, la FAA a déclaré avoir « suivi son processus de certification standard sur le MAX », sans plus de détail, l’avionneur précisant de son côté que l’autorité « a pris en compte la configuration finale et les paramètres de fonctionnement du MCAS lors de la certification MAX, et a conclu qu’elle répondait à toutes les exigences de certification et réglementaires ». Aucun autre détail n’a été fourni depuis en raison de l’enquête en cours. Autre défaut du MACS mis en avant selon le quotidien, le fait qu’il dépend d’une seule sonde (les deux sondes auraient enregistré une différence de 20° dans l’angle d’attaque lors du crash de Lion Air), et ne les teste pas par exemple au roulage.

La délégation d’une partie du processus de certification par la FAA à des analystes externes voire aux constructeurs selon la procédure ODA remonte à 2009, période de coupes budgétaires. L’autorité fédérale a de nouveau défendu ce principe, rappelant que les avions sont certifiés par d’autres régulateurs (comme l’EASA en Europe par exemple). Mais pour le Seattle Times, la certification du 737 MAX et en particulier du système MACS a été accélérée en raison du retard pris par Boeing par rapport à l’Airbus A320neo. Un ancien ingénieur sécurité de la FAA, « directement impliqué dans la certification du système MAX », a déclaré au quotidien qu’à mi-parcours du processus de certification, la direction « nous a demandé de réévaluer ce qui serait délégué », pensant que trop de décisions avaient été conservées en interne ; « il y avait une pression constante pour réévaluer nos décisions initiales, et même après la réévaluation (…) la direction a poursuivi ses discussions sur la possibilité de déléguer encore plus de décisions à la société Boeing ». Et il « n’y a pas eu d’examen complet et approprié des documents », a ajouté l’ancien ingénieur, « l’examen a été précipité pour atteindre certaines dates de certification ».

Ces rapports étroits, qui font l’objet d’une enquête du ministère des transports (DoT) selon le Wall Street Journal, ne sont pas toujours simples : la formation des pilotes au nouveau système MCAS avait été mise en cause par des syndicats de pilotes américains suite au crash de Lion Air, la FAA émettant alors une directive demandant aux opérateurs de mettre à jour le manuel de vol des 737 MAX (AFM) pour fournir à l’équipage « les procédures de compensation du stabilisateur horizontal à suivre dans certaines conditions ». Mais les deux parties ne seraient pas d’accord sur la marche à suivre, Boeing voulant apparemment un document papier et la FAA un passage obligé par ordinateur. Dennis Tajer, porte-parole du syndicat Allied Pilots Association chez American Airlines, a déclaré au Seattle Times que sa formation pour passer du 737NG au 737 MAX consistait « en une session d’à peine une heure sur iPad, sans formation sur simulateur ». Minimiser la formation de transition des pilotes MAX représente une importante économie pour les compagnies aériennes dans ce cas là les clientes de Boeing, un argument de vente essentiel pour le 737 MAX qui a enregistré plus de 5000 commandes. Les records de vente du constructeur l’année dernière ont valu à Dennis Muilenburg une augmentation de 27% de ses revenus via divers bonus, à 23,4 millions de dollars – une décision officialisée vendredi mais prise avant le crash d’Ethiopian Airlines.

Crash de Boeing 737 MAX : la FAA au cœur de la polémique 1 Air Journal