Accusé de complot en vue de commettre une fraude pour avoir caché des informations sur le MCAS lors de la certification du 737 MAX, Boeing a accepté de payer plus de 2,5 milliards de dollars pour échapper aux poursuites. Mais l’amende pénale n’est que de 243,6 millions pour les méfaits commis par seulement deux employés, le reste concernant les indemnisations des compagnies aériennes et un fonds de 500 millions à établir pour les familles des 346 victimes des crashes de Lion Air et Ethiopian Airlines.

Le ministère américain de la Justice (DoJ) a annoncé le 7 janvier 2021 avoir accusé le constructeur américain de « complot en vue de commettre une fraude », le procureur général adjoint David P. Burns déclarant que « les tragiques accidents du vol 610 de Lion Air et du vol 302 d’Ethiopian Airlines ont révélé la conduite frauduleuse et trompeuse des employés de l’un des principaux fabricants d’avions commerciaux au monde ». Les employés de Boeing ont « préféré le profit à la franchise en cachant à la FAA des informations importantes concernant l’utilisation de l’avion 737 MAX et en s’efforçant de dissimuler leur tromperie », a-t-il ajouté dans un communiqué. Avec pour résultat « d’entraver la capacité du gouvernement d’assurer la sécurité du public volant ».

Dans la foulée, Boeing a publié un communiqué expliquant qu’il avait conclu un accord avec le DoJ  « qui résout l’enquête du département relative à l’évaluation de l’avion Boeing 737 MAX par l’Administration fédérale de l’aviation (FAA). Dans le cadre de la résolution de Boeing avec le DOJ, le ministère a accepté de reporter les poursuites contre la société, à condition que Boeing respecte les obligations énoncées dans un accord de poursuite différée de trois ans, après quoi l’accusation sera rejetée ».

En vertu de cet accord, Boeing « paiera une amende de 243,6 millions de dollars et fournira 500 millions de dollars d’indemnisation supplémentaire aux familles des personnes perdues dans les accidents de Lion Air et d’Ethiopian Airlines. L’accord comprend également un engagement à fournir 1,77 milliard de dollars aux compagnies aériennes clientes de Boeing dans le cadre des efforts continus de la société pour indemniser ces clients des pertes financières résultant de l’échouement du 737 MAX ».

L’accord avec le DoJ est basé « sur le comportement de deux anciens employés de Boeing et sur leur omission intentionnelle d’informer le FAA Aircraft Evaluation Group (AEG), le groupe au sein de la FAA chargé de déterminer la formation des pilotes, des modifications apportées au système d’augmentation des caractéristiques de manœuvre (MCAS). À la suite de ce comportement, l’accord stipule que la FAA AEG n’était pas pleinement informée de la plage de fonctionnement étendue du MCAS lorsqu’elle a pris ses décisions en matière de formation pour le MAX. Tout en se concentrant sur la conduite de ces deux anciens employés, l’accord reconnaît que d’autres employés de Boeing ont informé d’autres responsables et organisations de la FAA de l’extension de la plage de fonctionnement de MCAS dans le cadre de la certification du 737 MAX ».

L’annonce de l’accord par Boeing s’est accompagnée d’un « dépôt 8-K auprès de la Securities and Exchange Commission, qui indiquait que la société avait imputé 743,6 millions de dollars aux résultats en relation avec ses engagements en vertu de l’accord ».

Le PDG de Boeing David L. Calhoun a déclaré dans une note aux employés : « Je suis fermement convaincu que la conclusion de cette résolution est la bonne chose à faire pour nous – une mesure qui reconnaît de manière appropriée à quel point nous n’avons pas respecté nos valeurs et attentes. Cette résolution nous rappelle sérieusement à tous à quel point notre obligation de transparence envers les régulateurs est critique, et les conséquences auxquelles notre entreprise peut faire face si l’un d’entre nous ne répond pas à ces attentes ».

L’accord stipule que Boeing a accepté de continuer à coopérer avec les autorités pour toutes les enquêtes en cours ou à venir, et s’est engagé à rapporter aux autorités tout exemple ou soupçon de fraude commise par un de ses employés. Le DoJ a toutefois renoncé à imposer un inspecteur de conformité indépendant au constructeur, et les poursuites criminelles seront définitivement abandonnées au bout de trois ans si Boeing respecte les termes de l’accord. Une condamnation criminelle de la société aurait pu lui coûter certains contrats militaires.

L’ensemble laisse toutefois une impression de mansuétude : les 1,77 milliards de dollars destinés aux compagnies aériennes ont déjà été budgétés par Boeing selon ses propres précédentes déclarations financières, leur indemnisation ayant débuté en décembre 2019. Le constructeur a déjà estimé à 20 milliards de dollars le coût de la crise du MAX.

Et surtout, la justice semble décrire cette crise comme le résultat des actions de seulement deux employés « ayant préféré le profit à la franchise » (dont le chef pilote Mark Forkner), comme si Boeing dans son ensemble n’avait pas profité des mensonges entourant le MCAS lors de la certification du monocouloir remotorisé. Le DoJ explique d’ailleurs pour justifier l’absence d’inspecteur indépendant que « la mauvaise conduite n’était ni généralisée dans toute l’organisation, ni commise par un grand nombre d’employés, ni facilitée par la haute direction ». Alors qu’en mars dernier, la Commission des Transports enquêtant sur les crashes évoquait la « culture de dissimulation » de Boeing et la pression financière pour accélérer l’arrivée du 737 MAX sur le marché. Et même David Calhoun, nommé en janvier 2020 à la place de Dennis Muilenburg, accusait ce dernier dans le New York Times d’avoir « stimulé la production au détriment de la qualité des avions » et plus tard d’avoir « fait pression sur les régulateurs alors qu’il cherchait à mettre fin à l’immobilisation » des 737 MAX dans le monde, décrétée en mars 2019 après le deuxième accident.

Peter DeFazio, président de la Commission des Transports, a d’ailleurs qualifié hier l’accord de « tape sur les doigts et une insulte aux victimes » : il évite « toute responsabilité réelle en termes d’accusations criminelles », a-t-il déclaré dans le Seattle Times, et « cette tentative de changer le comportement des entreprises est pathétique… La haute direction et le conseil d’administration de Boeing n’ont pas été tenus de rendre des comptes, et en fait, l’ancien PDG a dégagé plus de 60 millions de dollars ».

Boeing 737 MAX: des mensonges à 2,5 milliards de dollars 1 Air Journal

©Ethiopian Airlines