La Commission européenne a autorisé une recapitalisation de la compagnie aérienne Air France à hauteur de 4 milliards d’euros, demandant en échange – et entre autres conditions – qu’elle cède 18 créneaux de vol à Orly

Ce sera finalement 4 milliards d’euros d’aide publique pour la compagnie nationale française, et 18 eu lieu de 24 créneaux de vol à l’aéroport de Paris-Orly qui devront être cédés. La Commission européenne a ce 6 avril 2021 détaillé dans un long communiqué les conditions mises à la recapitalisation d’Air France, des contreparties qui avaient provoqué en février un tollé dans l’hexagone.

Côté argent d’abord : la France a notifié à la Commission, au titre de l’encadrement temporaire, une recapitalisation d’un montant maximal de 4 milliards d’euros d’Air France et de sa holding. La recapitalisation par la France, qui fait partie de la première étape du plan de recapitalisation du groupe, prévoit la conversion du prêt d’État de 3 milliards d’euros déjà accordé par la France (approuvé par la Commission en mai 2020) en un instrument de capital hybride. En outre, une injection de capital par l’État « par la souscription de nouvelles actions dans le cadre d’une augmentation du capital social ouverte aux actionnaires existants et au marché » est approuvée, dans la limite d’un milliard d’euros « en fonction de l’ampleur de cette opération ». Cette l’injection de capital ne dépassera pas « le minimum nécessaire pour garantir la viabilité d’Air France et de sa holding et pour rétablir la situation de fonds propres qui était la sienne avant la pandémie de Covid-19 ».

La Commission précise au passage que KLM Royal Dutch Airlines, l’autre filiale stratégique du groupe franco-néerlandais, « ne bénéficiera pas de l’aide », en raison entre autres d’un engagement « selon lequel les relations entre Air France et sa holding, d’une part, et KLM, d’autre part, continueront d’être fondées sur les conditions du marché ».

La contrepartie la plus attendue était celle concernant les créneaux à Orly, la cession de 24 précédemment annoncée étant équivalente à 8700 rotations par an – ou 7% des quelque 125.000 créneaux actuellement détenus par la compagnie nationale française dans l’aéroport parisien. Dans un paragraphe intitulé « engagements visant à préserver l’exercice d’une concurrence effective », la Commission a rappelé qu’Air France bénéficiera d’une mesure de recapitalisation supérieure à 250 millions d’euros, et détient « une puissance significative sur le marché de l’aéroport de Paris Orly ». Structurellement, cet aéroport est très saturé, ce qui signifie que les compagnies aériennes ne peuvent pas avoir accès aux créneaux d’atterrissage et de décollage qu’elles demandent pour leur exploitation à l’aéroport.

Par conséquent et « conformément aux exigences de l’encadrement temporaire », des mesures supplémentaires visant à préserver l’exercice d’une concurrence effective s’imposent. Il s’agit en l’occurrence de la mise à disposition par Air France de 18 créneaux horaires par jour à l’aéroport de Paris Orly « à un transporteur concurrent ». Les mesures concurrentielles proposées par la France doivent permettre « l’entrée ou l’expansion pérenne d’une compagnie aérienne concurrente d’Air France à Orly, au bénéfice des consommateurs ».

De plus, ces mesures requièrent que la compagnie aérienne en question ait recours à Orly à une base pour ses avions et équipages, dans le respect des législations européenne et nationale du travail. Ni le nom de l’éventuel bénéficiaire ni la date d’application de cette mesure ne sont mentionnés ; outre Air France et sa filiale low cost Transavia, Orly accueille déjà des bases d’Air Caraïbes, French bee, Corsair, La Compagnie, easyJet et Vueling..

La Commission est parvenue à la conclusion que la mesure de recapitalisation aidera à gérer l’incidence économique de la pandémie de COVID-19 en France: la mesure vise à rétablir la position dans le bilan et les liquidités d’Air France et de sa holding face aux circonstances exceptionnelles causées par la pandémie de COVID-19, tout en maintenant les garde-fous nécessaires pour limiter les distorsions de concurrence. Elle est nécessaire, appropriée et proportionnée pour remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre », et donc autorisée en vertu des règles de l’UE en matière d’aides d’État.

Invité sur France Inter ce mardi, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire a souligné que l’Etat allait atteindre « un peu moins de 30% du capital » de la compagnie de l’alliance SkyTeam, dont il deviendra « le premier actionnaire ». Tout a été fait « en collaboration étroite avec les Néerlandais », a-t-il précisé. Cette recapitalisation est « le signe d’un engagement fort de l’État aux côtés de la compagnie et de ses salariés », a-t-il affirmé, trouvant « raisonnable » le nombre de 18 créneaux de vols cédés « qui représente 4% des créneaux dont dispose Air France sur Orly ».

Le ministre a aussi insisté sur son refus du dumping social ou fiscal : « Nous avons souhaité que les compagnies qui puissent récupérer ces créneaux respectent rigoureusement les règles sociales ou fiscales de l’État français. C’aurait été de la concurrence injuste ». Mais il a répété que la compagnie aérienne allait devoir continuer ses efforts sur la compétitivité, tout en rappelant les engagements environnementaux qui devront être tenus.

Air France : ce sera 4 milliards contre 18 créneaux 1 Air Journal

©Air France

D’autres exigences financières font partie de l’accord : si l’aide à la recapitalisation permettra d’éviter l’insolvabilité d’Air France et de sa holding, « qui aurait de graves conséquences sur l’emploi, la connectivité et le commerce extérieur de la France », l’État français recevra une rémunération appropriée pour l’investissement. Des mécanismes supplémentaires ont été mis en place pour inciter Air France et sa holding à racheter la prise de participation de l’État résultant de la recapitalisation.

  • La France s’est engagée à élaborer une stratégie de sortie crédible dans un délai de 12 mois à compter de l’octroi de l’aide, à moins que l’intervention de l’État ne soit ramenée à un niveau inférieur à 25% des fonds propres d’ici là. Si la participation de l’État à la holding n’est pas sensiblement réduite, conformément aux dispositions de l’encadrement temporaire, à l’issue d’une période de six années après la réception de l’aide à la recapitalisation, un plan de restructuration d’Air France sera notifié à la Commission ;
  • Tant que la recapitalisation n’est pas remboursée à 100%, Air France et sa holding sont soumis à une interdiction de dividendes, de versement de coupons non obligatoires et de rachats d’actions. En outre, tant qu’au moins 75% de la recapitalisation ne sont pas remboursés (conformément aux dispositions de l’encadrement temporaire), une limitation stricte de la rémunération des membres de leur direction s’applique, y compris une interdiction du versement de bonus. Ces conditions visent également à inciter Air France, sa société holding et ses propriétaires à racheter la participation de l’État obtenue à la suite de la recapitalisation dès que la situation économique le permettra ;
  • Pour faire en sorte qu’Air France et sa holding « ne bénéficient pas indûment des aides à la recapitalisation octroyées par l’État au détriment de l’exercice d’une concurrence équitable sur le marché unique », il leur est interdit d’utiliser les aides pour soutenir des activités économiques de sociétés intégrées qui se trouvaient en difficultés financières avant le 31 décembre 2019. En outre, tant qu’au moins 75% de la recapitalisation ne sont pas remboursés, il est en principe interdit à Air France et sa holding d’acquérir une participation supérieure à 10% chez des concurrents ou d’autres acteurs du même secteur d’activité ;
  • Air France et sa holding devront publier des informations sur l’utilisation des aides reçues, y compris sur la manière dont les aides reçues contribuent aux activités de l’entreprise, conformément aux obligations nationales et aux obligations de l’UE en matière de transformation écologique et numérique ;

Enfin un mandataire, qui devra être désigné par Air France et sa holding avant le 5 mai 2021, « contrôlera et assurera, selon les instructions de la Commission, le respect des différents engagements », et « fera rapport périodiquement » à la Commission.

Air France : ce sera 4 milliards contre 18 créneaux 2 Air Journal

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