L’Organisation mondiale du commerce (OMC) a jugé hier qu’Airbus avait bien reçu des subventions illégales pour ses A380 et A350XWB de la part des gouvernements européens. Boeing jubile, mais Airbus aussi – en attendant le prochain jugement de l’OMC sur les mêmes faits reprochés à son concurrent américain.

Pour résumer ce conflit qui semble ne servir que les politiciens des deux côtés de l’Atlantique et les avocats : depuis 2004, l’OMC a évalué à 26 milliards de dollars le montant des aides illégales perçues par Boeing, et à 22 milliards de dollars celle reçues par Airbus. Aucun n’a remboursé quoique ce soit – et aucun n’est prêt à lancer une guerre commerciale, vu les intérêts croisés sur le plan industriel de l’aéronautique américaine et européenne… Au milieu des multiples communiqués aussi victorieux que partiels, retenons d’abord les faits annoncés le 15 mai 2018, dans un jugement de 296 pages de l’Organe d’appel de l’OMC sur la mise en conformité de l’UE dans l’affaire Airbus, officiellement « Communautés européennes et certains États membres — Mesures affectant le commerce des aéronefs civils gros porteurs », tire plusieurs conclusions sur les plaintes formulées contre l’avionneur européen. Tout d’abord, l’Organe d’appel juge que les subventions AL/FEM ayant expiré avant la fin de la période de mise en œuvre en décembre 2011 (subventions pour l’A300, l’A310, l’A320, l’A330 et l’A340) « n’entrainent par pour l’Union européenne d’obligation de mise en conformité ».

En revanche, les subventions existant pendant la période postérieure à la mise en œuvre – c’est-à-dire les subventions pour l’A380 et l’A350XWB« ont permis à Airbus de procéder au lancement et au développement de l’A350XWB en temps utile, et de mettre sur le marché et de continuer de développer l’A380 ». Ces deux événements ont été essentiels pour le renouvellement et le maintien de la compétitivité d’Airbus pendant la période postérieure à la mise en œuvre ; en particulier, les commandes de gros-porteurs Airbus « représentent des pertes de ventes notables pour la branche de production de bicouloirs des Etats-Unis », pour qui elles « sont une cause réelle et substantielle de préjudice grave ». Mais l’Organe d’appel rejette en même temps les accusations de Washington selon qui les subventions contestées « sont une cause réelle et substantielle du détournement et/ou de l’entrave des LCA des États-Unis sur les marchés des bicouloirs de l’Union européenne, de la Chine, de la Corée et de Singapour » ; et rejette les accusations selon lesquelles les ventes d’A380 auraient eu les mêmes effets sur les ventes de bicouloirs dans les mêmes régions.

En conclusion, l’OMC juge que sur les marchés de gros-porteurs et très gros-porteurs, l’Union européenne et certains Etats membres « ne se sont pas conformés aux recommandations et décisions de l’ORD » et, en particulier, « à l’obligation de prendre des mesures appropriées pour éliminer les effets défavorables de ou retirer la subvention ». L’Organe d’appel « recommande que l’ORD demande à l’Union européenne de rendre ses mesures, dont il a été constaté dans le présent rapport, et dans le rapport du Groupe spécial modifié par le présent rapport, qu’elles étaient incompatibles avec l’Accord SMC, conformes à ses obligations au titre de cet accord ».

Boeing v Airbus: tous contents du jugement de l’OMC? 1 Air JournalRéaction officielle de Boeing : dans sa décision finale, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) déclare que l’Union européenne (UE) n’a pas respecté ses nombreux jugements antérieurs et versé plus de 22 milliards de dollars en subventions illégales au constructeur d’avions européen Airbus. Après avoir examiné le différend pendant plus d’une décennie, l’OMC a déterminé que l’UE doit cesser ces pratiques commerciales déloyales et réparer les dommages permanents provoqués par ces subventions illégales. Le jugement historique prononcé par l’Organe d’appel de l’OMC marque la décision finale de ce litige qui a été porté devant l’OMC en 2006. La décision annoncée ce jour met un terme à ce différend et autorise le Représentant au commerce des États-Unis (USTR) à chercher à y remédier en taxant les importations de produits européens aux États-Unis. Le montant de ces taxes douanières autorisées devrait atteindre plusieurs milliards de dollars par an à moins que ou jusqu’à ce qu’Airbus remédie aux subventions illégales reçues de la part des gouvernements européens pour ses avions lancés récemment. Les taxes douanières appliquées par les États-Unis devraient être autorisées à hauteur du montant des dommages annuels provoqués par cette tactique qui fausse le marché. Les taxes douanières pourraient être appliquées dès 2019. Cette application serait la plus importante autorisation de rétorsion douanière accordée par l’OMC.

« Le jugement final prononcé ce jour envoie un message clair : le non-respect des règles en vigueur et le versement de subventions illégales ne sont pas tolérés. Le succès commercial des produits et des services doit être porté par leur valeur et leurs performances, et non par des actions qui faussent le marché », a déclaré Dennis Muilenburg, Président-directeur général de Boeing. « L’OMC ayant à présent rendu son jugement définitif, il incombe à toutes les parties de se mettre pleinement en conformité à ses décisions, car ces mesures produiront à terme les meilleurs résultats pour nos clients, ainsi que pour la bonne santé de notre industrie. Nous remercions le Représentant au commerce des États-Unis pour les efforts accomplis sans relâche tout au long des 14 années qu’a duré cette enquête, dans le but de renforcer l’industrie aéronautique mondiale en mettant un terme au versement de subventions illégales ».

Boeing v Airbus: tous contents du jugement de l’OMC? 2 Air JournalRéaction officielle d’Airbus : dans son rapport, l’Organe d’appel de l’OMC confirme la légalité des avances remboursables accordées par les gouvernements européens à Airbus. Le panel de l’OMC confirme les conclusions antérieures considérant que les aides au lancement remboursables accordées par l’Union européenne pour le développement de projets aérospatiaux ne constituent pas des subventions prohibées, et que seules quelques modifications s’imposent pour assurer la pleine conformité. L’OMC a rejeté dans leur intégralité 94% des plaintes initiales déposées par Boeing, et confirme que tous les aspects liés aux programmes A320 et A330 sont désormais en totale conformité, et que l’A380 n’exige plus que quelques mesures correctives mineures. En ce qui concerne l’A350, seuls quelques éléments mineurs concernant les aides au lancement remboursables accordées doivent encore être réglés. Airbus procède actuellement aux ajustements nécessaires pour se conformer à ces constatations. En d’autres termes, les éventuelles sanctions américaines, qui seront selon toute vraisemblance mineures par rapport à ce que l’on peut escompter de la plainte déposée contre les subventions perçues par Boeing, pourraient s’avérer contre-productives et inopportunes.

Tandis qu’Airbus s’apprête à effectuer les ajustements requis pour mettre en œuvre les recommandations de l’OMC, Boeing continue d’aggraver sa propre situation en matière de subventions à travers les exonérations fiscales abusives accordées par l’État de Washington, qui nuisent non seulement aux contribuables, mais également à l’harmonie du commerce mondial. Le programme d’aides de l’État de Washington a permis à Boeing de bénéficier de subventions publiques record pour le lancement de son modèle 787 (5 milliards de dollars US). D’autres mesures incitatives destinées au 777X, d’une valeur de 8,7 milliards de dollars US en 2013, ont porté ces subventions à un niveau jamais atteint dans l’histoire des États-Unis. D’après certaines informations, Boeing chercherait par ailleurs activement à obtenir d’autres exonérations fiscales illégales pour la réalisation de son projet d’aéronef moyen-courrier 797.

Tom Enders, CEO d’Airbus, a déclaré : « Aujourd’hui, ce succès juridique incontestable de l’industrie aéronautique européenne confirme le bien-fondé de la stratégie que nous avons mise en œuvre au cours de ce différend de très longue date. Il est évident que le rapport publié aujourd’hui ne présente qu’une partie des faits. L’autre partie, qui devrait être publiée dans le courant de l’année, se prononcera avec fermeté sur les subventions perçues par Boeing, et nous verrons alors où se situe le point d’équilibre. » Et de poursuivre : « La situation est simple : Airbus rembourse les avances qui lui sont accordées, tandis que Boeing ne rembourse rien du tout et continue à exploiter la générosité des contribuables américains. Malgré les grandes déclarations de Boeing, il ne fait aucun doute que sa position est aujourd’hui évidemment saine : Boeing détient la moitié des parts de marché et un carnet de commandes bien rempli, et n’a donc manifestement pas souffert des prêts remboursables d’Airbus. »

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