La Federal Aviation Administration (FAA) a annoncé la fin des vols de recertification du Boeing 737 MAX, après plusieurs sorties durant trois jours, et la liste des obstacles restant à franchir avant que les monocouloirs remotorisés reprennent du service. La société de leasing BOC Aviation a annulé 30 commandes et a reporté d’autres livraisons, tandis qu’un rapport officiel explique comment Boeing a caché au régulateur les changements apportés par le système anti-décrochage MCAS.

Immobilisés depuis mars 2019 suite à deux accidents ayant fait 346 victimes chez les compagnies aériennes Lion Air puis Ethiopian Airlines, les Boeing 737 MAX voient enfin le bout du tunnel. Un communiqué du régulateur américain 1er juillet 2020 indique que « la FAA et Boeing ont achevé aujourd’hui les tests de certification en vol sur le Boeing 737 MAX. Pendant trois jours de tests cette semaine, les pilotes et ingénieurs de la FAA ont évalué les changements proposés par Boeing en rapport avec le système de contrôle de vol automatisé de l’avion ». Tous ces vols ont été menés à bord d’un MAX 7, qui n’était pas entré en service commercial avant l’interdiction de vol des trois types alors disponibles (MAX 8 et MAX 9 ; le MAX 10 n’est pas encore certifié).

Bien que l’achèvement de ces vols soit une « étape importante », souligne la FAA, un certain nombre de « tâches clés » demeurent, notamment l’évaluation des données recueillies au cours de ces vols. L’agence suit « un processus circonspect et prendra le temps nécessaire pour examiner en profondeur le travail de Boeing. Nous ne lèverons l’ordre d’immobilisation au sol qu’après que les experts en sécurité de la FAA seront convaincus que l’appareil répond aux normes de certification ».

LA FAA a en outre détaillé les « tâches » auquel le 737 MAX fait face avant son retour en service dans les compagnies aériennes, qui en avaient reçu près de 400 avant leur immobilisation au sol :

Validation du JOEB et examen du FSB – Le Flight Standardization Board (FSB) et le Joint Operations Evaluation Board (JOEB) de la FAA, qui comprend des partenaires internationaux du Canada, de l’Europe et du Brésil, évalueront les exigences minimales de formation des pilotes. Le CSF publiera un projet de rapport pour commentaires du public sur les conclusions du CSF et du JOEB.

Rapport final du FSB – La FAA publiera un rapport final du FSB après avoir examiné et pris en compte les commentaires du public.

Documentation de conception finale et rapport TAB – La FAA examinera la documentation de conception finale de Boeing afin d’évaluer la conformité à tous les règlements de la FAA. Le comité consultatif technique (TAB) multi-agences examinera également la soumission finale de Boeing et publiera un rapport final avant une décision finale de conformité par la FAA.

CANIC & AD – La FAA émettra une notification de maintien de navigabilité à la communauté internationale (CANIC) fournissant un avis des mesures de sécurité importantes en suspens et publiera une consigne de navigabilité (AD) qui résout les problèmes connus d’échouage. L’AD informera les exploitants des mesures correctives requises avant que les aéronefs puissent reprendre le service commercial.

Annulation de l’ordonnance de mise à la terre – Ceci marque la fin officielle de l’immobilisation au sol de l’avion, en attendant que les exploitants aient terminé les travaux spécifiés dans la CN, ainsi que toute formation requise.

Certificats de navigabilité – La FAA conservera son pouvoir d’émettre des certificats de navigabilité et d’exporter des certificats pour tous les nouveaux avions 737 MAX fabriqués depuis l’échouement. La FAA procédera à des examens individuels en personne de ces appareils.

Programmes de formation des opérateurs – La FAA examinera et approuvera les programmes de formation pour les opérateurs du 737 MAX.

Mais après l’annonce de la low cost Norwegian, une autre annulation de commande de 737 MAX a été officialisée, cette fois par la société de leasing BOC Aviation, basée à Singapour : elle a trouvé un « accord avec Boeing sur l’annulation de 30 737 MAX et le report de certains autres exemplaires », sans plus de précision. Depuis 2014, la société a commandé 83 MAX 8 et dix MAX 10 ; à la fin mars, elle en avait livré six à Corendon, Travel Service, SpiceJet et Icelandair. Au mois de mai, elle avait en outre signé un accord de cession-bail avec Southwest portant sur dix MAX 8.

Boeing 737 MAX: essais, annulations et mensonges (vidéo) 1 Air Journal

©BOC Aviation

Toutes ces annonces surviennent alors qu’un rapport du gouvernement américain détaille la façon dont Boeing a délibérément caché à la FAA durant le processus de certification initial du 737 MAX des informations sur le logiciel anti-décrochage MCAS, mis en cause dans les deux crashes. Consultées par FlightGlobal, les 52 pages publié le 1er juillet par l’inspecteur général du ministère des Transports (DOT) soulignent comment des « informations vitales » ont été retenues par le constructeur, « minimisant considérablement » le risque que le nouveau système représentait, en particulier sa dépendance à une seule sonde AOA. Faute d’information, la FAA n’aurait donc pas été en mesure de tester correctement le MCAS ou de le « traiter autrement ».

Boeing a selon le rapport « présenté le logiciel comme une modification du système de compensation de vitesse existant qui ne s’activerait que dans certaines conditions limitées. En tant que tel, MCAS n’était pas un domaine prioritaire dans les efforts de certification de la FAA, et n’a donc pas reçu d’examen ou de discussion plus détaillé entre les ingénieurs de la FAA et Boeing (…). En conséquence, la FAA n’était pas bien positionnée pour atténuer les risques liés au MCAS ».

Parmi les exemples cités dans le rapport figure le fait que les employés de Boeing, en charge du processus de certification dans le cadre du programme ODA de la FAA qui délègue aux constructeurs une partie du processus, ont décrit le MCAS comme « une modification et non une nouvelle fonction ». Selon le rapport, seulement deux lignes de texte dans un ensemble de 500 diapositives de présentation font référence au système.
En conséquence, la FAA n’avait exigé aucune formation supplémentaire sur simulateur pour les pilotes qui étaient déjà qualifiés sur 737NG, même si le MCAS était en effet un changement important par rapport à ces avions. Cela correspondait aux objectifs de Boeing et de ses clients potentiels, afin de réduire les coûts de formation lors de l’intégration du nouvel avion dans leurs flottes.

Même après le premier crash (Lion Air en octobre 2018),  quand le MCAS a été activé « sur la base de données erronées du capteur AOA externe de l’avion plus de 20 fois, ce qui a entraîné une perte de contrôle de l’avion », le bulletin de Boeing et donc la directive de la FAA aux exploitants « ne mentionnait pas spécifiquement le MCAS comme source de préoccupation ». C’était la première fois que les ingénieurs de certification de la FAA effectuaient un examen détaillé du système anti-décrochage, « et selon plusieurs ingénieurs de certification de la FAA, c’était également la première fois qu’ils recevaient une image complète du fonctionnement de MCAS », souligne le rapport. Boeing avait alors préparé une mise à jour du logiciel. Le deuxième crash (Ethiopian Airlines en mars 2019) avait de nouveau impliqué le logiciel, et deux jours plus tard tous les MAX en service étaient cloués au sol.

Mais selon CNN, le rapport pointe aussi du doigt la responsabilité de la FAA, qui a avait confié « 87% du processus de certification à Boeing ». Ce dernier a indiqué hier dans un communiqué avoir « coopéré pleinement et intensivement » avec le bureau de l’inspecteur général, et a souligné avoir « apporté des changements substantiels » à la fois à l’avion et à la structure de l’entreprise, en réponse aux enquêtes précédentes concernant le MAX. « Nous avons apporté des améliorations robustes au logiciel de commande de vol du 737 MAX, notamment en veillant à ce que le MCAS ne puisse pas être activé sur la base des signaux provenant d’un seul capteur et ne puisse pas être activé à plusieurs reprises », précise le communiqué. « Nous avons consacré toutes les ressources nécessaires pour garantir que les améliorations apportées au 737 MAX sont complètes et testées de manière approfondie ».

Boeing 737 MAX: essais, annulations et mensonges (vidéo) 2 Air Journal

©Ethiopian Airlines